L’extrait publié ci-dessous, avec l’aimable autorisation de son auteur, Thomas Karlsson, vient de l’ouvrage Qabalah, Qliphoth and Goetic Magic, publiée initialement dans les années 2000 et dont une traduction française verra le jour début 2017, aux éditions Chronos Arenam.
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L’Arbre de Vie et ses dix Sephiroth représentent différentes qualités de Dieu, ou principes de l’Univers, si l’on préfère utiliser un jargon moins religieux. Les deux qualités qui, à l’évidence, ont la plus grande influence sur l’existence humaine sont le caractère miséricordieux de Dieu et sa faculté de jugement. Ces deux principes évoqués par les qabalistes correspondent aux forces astringentes et désagrégeantes de l’univers, des forces qui influencent constamment Malkuth, la Sephira inférieure, et le monde de l’homme.
Dans l’Arbre de Vie, la Sephira Chesed correspond à l’aspect miséricordieux de Dieu, tandis que la Sephira Geburah (également appelée Din) est associée à son aspect rigoureux et punitif. Chesed dirige les forces qui assemblent, unissent et relient, alors que Geburah constitue le principe qui brise, établit les limites et analyse. Chesed et Geburah exercent une influence fondamentale sur l’existence. Lorsque ces deux principes sont en équilibre, ils agissent de façon harmonieuse avec les autres Sephiroth. Chesed appartient au côté droit de l’Arbre de Vie, et Geburah au côté gauche. Le côté gauche est associé aux principes qui créent les limites et les lois, et est appelé « Colonne de la Rigueur ». Le côté droit, quant à lui, est associé aux principes qui créent l’unité et la compréhension, et est appelé « Colonne de la Miséricorde ».
Les Sephiroth appartenant au côté gauche sont Binah, Geburah (ou Din) et Hod, et celles appartenant au côté droit sont Chokmah, Chesed et Netzach. Les forces du côté gauche sont principalement actives durant le processus de Création, car il exige en effet une séparation vis-à-vis de l’unité originelle de Dieu. L’Univers est créé au moment où le principe destructeur et diviseur est actif. Sans ce principe, d’une importance capitale, la Qabale basculerait dans un panthéisme immanent, dans lequel Dieu existerait au sein même de la Création. Le fait qu’un principe destructeur soit à l’origine de l’Univers peut, à première vue, paraître paradoxal, mais c’est bien une force séparatrice qui rend possible la multiplicité et l’existence individuelle. Sans cette force, tous les éléments qui constituent la vie se fondraient les uns aux autres et s’unifieraient. Si nous prenons l’exemple de l’homme, la vie débute par une division cellulaire, ce qui a pour conséquence la création de nombreuses autres cellules qui rendent possible la naissance d’une nouvelle vie. La force séparatrice constitue l’outil nécessaire à la création d’une vie à partir d’une autre vie, mais c’est aussi cette même force qui rompt le fil de la vie.
On peut trouver, dans la Sephira Binah, certains des principes originels de la Colonne de la Rigueur, les racines de l’univers, mais aussi celles des forces restrictives, séparatrices et régulant les lois. À l’inverse, ce n’est qu’au sein de Geburah que s’expriment pleinement les forces désagrégeantes et punitives, bien que ces dernières s’harmonisent avec les forces unissantes de Chesed.
Geburah est considérée par la plupart des qabalistes comme la racine du mal, et d’ailleurs la vraie définition du mal implique souvent l’idée de « séparation », autrement dit, la caractéristique majeure de cette Sephira. Comme l’explique Gershom Scholem dans le chapitre « Sitra Ahra, Good and Evil in the Kabbalah » de son ouvrage intitulé On the Mystical Shape of the Godhead :
Nous apprenons ici que le mal n’est rien d’autre que ce qui isole et prive toutes choses de leur unité. (…) Ce qui est commun à l’ensemble de ces Kabbalistes est la perception du mal en tant qu’entité existant de façon isolée, et celle de l’acte malveillant comme étant l’éloignement de l’être de sa place légitime.
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Aussi longtemps que Geburah demeure équilibrée par Chesed, elle constitue une force garantissant l’ordre et la justice ; cependant, si Geburah devait être livrée à elle-même, elle deviendrait alors une puissance brutale et destructrice, et provoquerait le mal. Les qabalistes envisagent Geburah comme un aspect de Dieu, et comme l’une de ses qualités. À un moment précis du mythe primordial, le Serpent prend ses quartiers dans le Jardin d’Éden, et incite l’homme à rompre l’unité originelle en lui faisant goûter du fruit de la connaissance.
Dès l’instant où l’unité originelle se brise, Geburah devient une force indépendante qui finira par dominer Malkuth et le monde de l’homme. Ce qui était potentiellement malveillant le devient réellement, et se change en une forme fondamentalement néfaste qui gangrène le monde de l’homme. Selon nombre de qabalistes, Satan est né des actes pécheurs commis par l’homme. L’un des aspects de Dieu prend la forme d’une puissance indépendante et maligne, du fait des actes de désobéissance de l’humanité. Plusieurs qabalistes soutiennent l’idée selon laquelle le serpent constitue le principe à l’origine de la division dans l’existence, et qui permet à Satan, ou Samaël, de devenir une force individuelle et malveillante. Le serpent correspond aux instincts considérés comme impurs, mais il a également été associé à Lilith, la mère des démons.
Samaël, le nom que prend Satan dans la littérature juive, représente à l’origine et dans de nombreuses interprétations un aspect de Dieu ; on le retrouve en outre parmi les 72 noms de Dieu, sous le patronyme de Sa’ël. Dès lors que la force de Geburah devint indépendante, Maveth, la mort, apparut au monde et prit aussi le nom de Sa’ël qui, par la suite, devint Samaël, c’est-à-dire l’ange de la mort. Les fidèles qabalistes juifs étaient persuadés qu’au moment de l’arrivée du Messie, la mort serait vaincue ; ils croyaient en outre que lorsque l’homme atteindrait à nouveau l’existence paradisiaque originelle, dans un futur plus ou moins proche, Samaël serait libéré du principe de mort et ne ferait, à nouveau, plus qu’un avec Dieu, et reprendrait le nom de Sa’ël.
Certains qabalistes, cependant, tendent à considérer Satan comme une force indépendante originelle, active au sein de l’unité primordiale de Dieu. Galya Raza, un texte qabalistique, décrit de longues conversations entre Samaël et Dieu. Dans le mysticisme juif, Satan tient le rôle du procureur constituant le prérequis à la justice de Dieu. Dans certains textes, c’est Geburah, c’est-à-dire Dieu en sa qualité de juge, qui est perçu comme identique à Satan, l’ange procureur.
Toujours aussi passionnant et qualitatif. Bravo et merci, Spartakus FreeMann & Melmothia,
Merci ! Mais, cette fois, la traduction est l’oeuvre de Julien Bert. L’ouvrage est d’ailleurs sur le point de sortir.