Cette traduction du chapitre « the infernal Path », extrait de l’ouvrage éponyme, paru chez Dark Harvest Press en 2012, a été réalisée avec l’aimable autorisation de son auteur, Alexander W. Dray.
Une traduction française de cet ouvrage vient de sortir aux éditions Chronos Arenam.
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À l’opposé des traditions magiques connues qui cherchent, pour la plupart, à optimiser l’intégration de l’individu dans leurs communautés et à guider leurs membres dans une vie spirituelle de transformation, le magicien noir aborde ces conventions en termes exclusifs de Main Gauche. Les religions chamaniques fondées sur la nature s’efforcent généralement d’établir un équilibre énergétique entre les esprits et la communauté dans laquelle vit le chamane, ce qui s’effectue par le développement d’une relation avec des entités invisibles, marquée par un degré variable de soumission et de loyauté entre les deux partis. Chaque approche possède ses propres croyances fondamentales, ses superstitions et ses dogmes sur la façon dont il convient de gérer les esprits. La voie infernale incarne l’opposition vivante à la façon dont les approches traditionnelles traitent avec le monde spirituel ou invisible. Le sorcier qui embrasse l’approche infernale considère l’entité non corporelle d’une manière plus proche de celle des sorciers des temps anciens et cherche à exploiter ses connaissances des royaumes invisibles d’une façon bénéfique pour toutes les parties concernées, mais qui souligne, finalement, sa propre capitalisation de pouvoir et sa volonté d’auto déification. De son côté, le chamane / prêtre traditionnel recherche l’union avec la divinité et l’élévation « spirituelle » pour lui-même et sa communauté, par le biais d’une relation servile avec le royaume des esprits.
L’approche infernale de ces traditions renverse cette odieuse tendance humaine et donc renverse également les flux énergétiques au sein de ces systèmes. Le magicien noir arpentant la voie infernale s’immergera intentionnellement dans un système magique chamanique ou religieux établi qu’il corrompra délibérément afin que celui-ci puisse servir ses desseins. Cela peut sembler ignoble à ceux qui comprennent mal cette méthodologie ainsi que son but et je vais illustrer avec quelques exemples comment cela doit être accompli. Si la démarche est exécutée correctement, le magicien noir sera capable de créer sa propre sorcellerie chamanique de la Main Gauche. Ceci n’est, bien sûr, pas une tâche facile et la description simplifiée que je donne de ce processus ne doit pas conduire à sous-estimer les énergies primales extrêmement sombres et puissantes que l’on viendra inévitablement à expérimenter.
Dans les religions africaines traditionnelles et les pratiques chamaniques, l’individu initié est perçu comme existant au sein d’une cosmologie constituée d’une hiérarchie cosmique typique. Dans la pratique de la Santeria, ou plus exactement dans la Regla de Ocha (la règle de l’Orisha), cette chaîne spirituelle de commandement est superbement définie, donc j’y piocherai la plupart de mes exemples, ainsi que dans d’autres traditions africaines, mais le système choisi n’a pas d’importance tant qu’il peut être abordé dans la perspective de la Voie de la Main Gauche. Il est capital pour le magicien noir de s’immerger dans le système choisi autant que possible, s’il désire récolter les fruits sombres de l’approche infernale. Si l’on choisit, par exemple, les traditions africaines, il lui sera nécessaire de suivre ces voies et de se prêter à la hiérarchie des initiations. Cela peut constituer un véritable défi, mais serions-nous réellement des magiciens noirs si nous ne relevions pas ces défis ?
Les religions lucumi et palo sont fondées sur la croyance en une divinité supérieure, suprême, centrale et responsable de la création du monde, mais qui depuis longtemps, s’est éloignée des affaires de l’humanité. Dans la religion lucumi, ce dieu suprême est appelé Olodumare et dans la religion palo, il est appelé Nzambi. Les orishas de la religion lucumi, les nkisis de la religion palo et les loas du vaudou sont considérés comme des entités spirituelles puissantes, moins élevées sur l’échelle hiérarchique que le créateur, mais bien au-dessus des êtres humains. Ces dieux sont envisagés et évoqués de façon différente selon la personne avec qui vous parlez, mais ils partagent encore des attributs de base. Dans de nombreuses communautés modernes, ces esprits sont désignés comme étant des « anges », tandis que certains les considèrent comme des démons, car ils sont regardés comme des esprits élevés résidant à l’intérieur et autour du royaume terrestre.
Les prémices pour embrasser la voie infernale, comme méthode de réalisation de la Voie de la Main Gauche, reposent sur le concept fondamental de sabbat des sorcières originel et / ou de messe noire. Ceux-ci sont presque archétypaux, une multitude d’êtres humains semblant avoir gardé, profondément ancrée en eux et durant d’innombrables siècles, la conviction de la nature diabolique de ces rassemblements sombres. La messe noire est, à proprement parler, la messe catholique inversée, destinée à honorer le diable plutôt que le dieu des juifs et des chrétiens. Dans ce cadre rituel, les tendances et les pulsions animales habitant les êtres humains sont exaltées et ce qui est considéré comme « pur » ou « saint » est volontairement blasphémé. Des exemples de messe noire traditionnelle peuvent être trouvés dans de nombreuses sources, notamment dans The Black Arts de Richard Cavendish, dans The Satanic Mass de H. T. F. Rhodes, ou dans les nombreuses références textuelles aux messes noires qui auraient été effectuées entre le 16e et le 19e siècle par des nobles, tels que Catherine de Médicis, Mme de Montespan et le marquis de Sade. La messe noire constituait un dispositif rituel psycho-énergétique complexe, utilisé par les cultures profondément immergées dans le christianisme, destiné à fournir une forme de libération salutaire de l’inhumain et étouffant contrôle que cette religion exerçait alors sur les gens. Pour apprécier pleinement les véritables finalités de la messe noire classique, il faut se plonger dans une étude approfondie de l’histoire de l’Église catholique, de sa domination sociale et politique durant son hégémonie, ainsi que de son influence diffuse de nos jours sur la psyché humaine.
Le terme « sataniste » trouve son origine dans un environnement strictement catholique ; il renvoyait à une personne adorant le diable comme étant son Dieu et ayant activement renoncé à la foi catholique et à son église. Ce concept est demeuré relativement inchangé au cours des siècles, aimantant occasionnellement des caractéristiques liées à une période spécifique de l’histoire. Cela, bien entendu, jusqu’à ce qu’Anton Szandor LaVey codifie le satanisme en 1966, comme étant une religion réelle avec des principes philosophiques établis et distincts. Dans le passé, l’image du sataniste était le prêtre catholique, le voyou, la religieuse ou l’aristocrate fortuné ayant fait un pacte avec Satan pour obtenir la richesse et le pouvoir. La messe noire typique, en tant qu’inversion de la messe catholique, impliquait la nudité, la sexualité, la lecture à rebours des Écritures, l’utilisation de fluides corporels comme substances sacrées et la profanation globale de tout le symbolisme catholique, cela impliquant très souvent l’utilisation d’une grande croix inversée quelque part dans le sanctuaire sacrilège. Noir restait toujours la couleur privilégiée, mais le rouge ou le violet étaient également classiquement utilisés pour symboliser les pulsions charnelles et la dignité royale du monde démoniaque durant le rite.
Je suis pratiquement certain qu’une messe noire classique accomplie aujourd’hui serait considérée comme un travail rituel insuffisamment efficace et faible, par la plupart des magiciens noirs contemporains. Toutefois, si vous avez baigné, durant un certain temps, dans des rites religieux catholiques, l’élément de blasphème pourrait, selon toute vraisemblance, être exploité pour fournir une abondante énergie. Car vous devez comprendre que la voie infernale exige que l’inversion choisie soit appliquée à un système dans lequel vous avez été complètement immergé en tant que participant, d’une façon traditionnelle. Si vous avez grandi dans un contexte catholique, comme cela fut mon cas, la messe noire peut être un travail rituel libérateur et enrichissant, vous fournissant l’énergie sombre première nécessaire à la poursuite de vos recherches et à votre avancée sur la voie de la magie noire. Si vous avez été élevé par le genre de hippies libéraux ayant prospéré dans les années 1960 et 70, il y a alors toutes les chances pour que vous ne soyez pas saturés d’idéaux, de symboles et de tradition catholiques. Pour que la messe noire soit efficace en tant qu’acte rituel pour le magicien noir, elle doit constituer une très puissante cérémonie de libération. Avoir été élevé dans un milieu catholique est assurément une condition préalable, mais le protestantisme, la religion baptiste ou tout autre bagage confessionnel possède son potentiel d’inversion.
Pour beaucoup, l’expression « Voie de la Main Gauche » signifie simplement le rejet philosophique des normes ordinairement acceptées dans les courants occultes dominants. Cette démarche prolonge souvent un rejet du monde ordinaire, des affaires humaines et sociales, et un mépris général pour ce qui est considéré comme « commun » [1]. Il n’y a certainement rien de faux dans cette interprétation, dans la mesure où cette dynamique d’introversion et la dénonciation de la mentalité du troupeau est tout à fait typique de l’agitation initiale d’un futur adepte noir, mais demeurer confortablement à ce stade de développement n’amène rien de plus qu’une stagnation perceptive et énergétique, aucunement différente de l’acceptation complète des principes de la Voie de la Main Droite.
Très souvent, le sorcier de la Voie de la Main Gauche connaît deux étapes prévisibles dans son développement, qui d’une certaine façon, reflètent la maturation que les tendances modernes de la Voie de Main Gauche ont elles-mêmes connue. La première étape est celle de la rébellion. C’est le moment où le magicien a pris conscience des limites inhérentes à la Voie de la Main Droite et commence à remettre en question et à rejeter systématiquement les enseignements et les pratiques qu’il a embrassées par le passé. Cette étape peut être exemplifiée par le prêtre catholique disant secrètement une messe noire dans une chambre souterraine et jurant allégeance au diable, son nouveau maître. La lecture des textes sacrés à rebours, la combustion de bougies noires au lieu de bougies blanches et l’accomplissement de rites orgiaques pervers manifestent tous un rejet du « sacré ». Ces actes de blasphème sont identiques à la rupture des tabous dans beaucoup d’autres traditions ésotériques et ils servent à libérer l’énergie stagnante dans le sorcier lui-même. Cette étape ne doit pas être sous-estimée, car elle est d’une importance vitale pour la réalisation de la voie infernale et pourra souvent servir de référent lors de la modification des comportements durant la recherche de l’éveil non ordinaire.
Le deuxième stade de développement se caractérise par un nouveau progrès intellectuel dans l’esprit de l’initié. Celui-ci comprend que sa rébellion contre la mentalité du troupeau doit s’associer avec un but plus élevé. Ce changement doit être interne, désormais l’adepte commence à adopter le concept de « réalisation de soi » comme étant une composante essentielle dans le développement de sa philosophie. Demeurer simplement au stade du rejet le conduirait à un dessèchement fondamental de son être et à une stagnation stérile. Cette deuxième phase est le moment où le débutant réalise vraiment qu’il peut par lui-même devenir son propre Dieu et qu’il doit vraiment faire quelque chose pour atteindre cet objectif. Tout ce qui est véritablement requis à ce stade est que le sorcier refuse de stagner et continue à travailler ces pratiques qu’il juge difficiles, afin de les maîtriser.
[1] NdT : mundane.
Traduction française par Melmothia, 2015.