M’étant récemment réintéressé à ce qu’on pourrait qualifier de « première scène gothique » loin de la Batcave des années 80, mais plus d’un siècle auparavant, à Genève au bord d’un lac, quand les sulfureux poètes rebelles Lord Byron et Percy Shelley viennent oublier leur réputation anglaise un poil exagérée, pour s’adonner aux affres de la création décadente. Les y rejoignent leurs promises respectives, l’oie blanche Mary Shelley, future écrivaine de qui vous savez, et la demi-sœur incestueuse de Byron, interprétée de manière outrée et hystérique par une actrice au regard assez flippant… On y ajoute le médecin joufflu et pédé comme un phoque, Polidori, futur écrivain de vous savez quoi aussi.
Nous voilà dans un film d’atmosphère assez léger, aux intermèdes horrifiques volontairement grotesques et bien 80’s, avec une musique tonitruante et ultra kitsch en sus. Les pré-Gothiques se courent derrière dans les larges couloirs, picolent à foison, rivalisent de bons mots cyniques et désabusés, semblent toujours sur le point de s’empoigner lubriquement ou de se sauter à la gorge pour un rien.
L’oisiveté, la picole, les décors plutôt particuliers de la baraque (on se souviendra de cette espèce de Geisha mécanique joueuse de piano et strip-teaseuse à heures perdues…), ainsi que quelques pratiques occultes très « cliché » font sombrer les personnages dans la folie douce. Le seul point d’ancrage reste la jeune effarouchée Mary, avant qu’elle ne pète un plomb encore plus sévèrement que les autres…
Avouons-le, le film est parfois un peu longuet et tient surtout grâce à ses visions cauchemardesques (dont la plus marquante reste évidemment celle des quatre yeux, vous verrez bien…), car tout ce petit monde de créateurs hyper sensibles se repasse ses peurs les plus intimes. Peur du Diable, peur des fantômes, peur des Vampires, peur du sexe qui tache, ou de choses bien plus concrètes, comme le traumatisme de la perte d’un enfant en bas âge, tout cela va contribuer à ce que les personnages rivalisent d’hystérie (sauf Byron bien sûr, toujours calme, car fou en permanence) et se croient poursuivis par toutes sortes de choses. Le film frôle par moments l’ambiance véritablement horrifique, mais ne demeure jamais longtemps sérieux, s’en tenant au grand guignol, et l’on ne doute jamais réellement que tout se passe dans la tête des personnages dérangés, comme le montrera l’épilogue apaisé et léger.
Un train fantôme assez dépaysant au final, mélangeant gothique traditionnel (chevaliers fantômes, squelettes, démons, succubes…) et hystérie clippesque typiquement années 80, des acteurs en roue libre, des visions qui marquent la rétine, un petit film pour Russell qui semble s’amuser à filmer ses personnages halluciner à tout va en se roulant par terre, mais un petit film visuellement marquant…
Alcide, 2018.
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Gothic Ken Russell, 1986.
Avec Gabriel Byrne ; Julian Sands ; Natasha Richardson ; Timothy Spall ; Myriam Cyr.
Gothic s’inspire du séjour passé à la villa Diodati, sur le lac Léman, pendant l’été 1816, par Lord Byron, Percy Shelley, Mary Shelley, Claire Clairmont et Gaetano Polidori, séjour qui donna naissance à deux récits gothiques, Le Vampire et, surtout, Frankenstein.