Si son nom commun dérive du latin qui lui-même descend du grec λεπίς (lepis) signifiant « croûte, écorchure », la lèpre s’est vue gratifiée dans chaque culture de petits noms plus familiers. Les aventures de Lazare lui ont par exemple valu l’appellation de lazrie, puis ladrie à partir de la seconde moitié du 13e siècle, ces termes et d’autres variantes se trouvant concurremment dans les traités avec le latin lepra ou le français lèpre. En Allemagne au 12e siècle, le malade de la lèpre était surnommé misellus et la maladie miselsuht, du latin miser signifiant « malheureux », dans le sens « ah ben, pas de chance ». Plus tard, le lépreux fut désigné sous le terme usssetzikeit, littéralement « celui qu’on met à l’écart » et, à partir du 15e siècle, sous celui de malade, la lèpre étant désormais surnommée la maladie ou maletz, ce dernier terme évoluant finalement en melaten.
Ce qui est aujourd’hui connu comme l’immense et romantique Melaten-Friedhof de Cologne abrita successivement une léproserie, un lieu d’exécution, un orphelinat et un hospice avant de devenir, en 1810, le cimetière officiel de la ville.
Construite à la fin du 12e siècle, la léproserie « Melaten » est mentionnée pour la première fois dans un document de 1180. Cette léproserie, la plus grande d’Allemagne et l’une des plus importants d’Europe, se composait de sept pavillons, un bâtiment pour héberger les domestiques, des jardins, une auberge et un petit cimetière.
Dès le 13e siècle, un site proche du Melaten, portant le nom de Rabenstein (« la pierre du corbeau ») fut dévolu aux exécutions capitales. Afin que la population puisse assister aux décapitations et aux pendaisons, un promontoire rond fut érigé au centre. Le lieu continua d’accueillir les condamnés à mort durant plusieurs siècles et, au début du 17e, une trentaine de sorcières y furent brûlées vives. La dernière exécution eut lieu le 13 juillet 1797, avec la pendaison du pilleur d’églises, Peter Eick.
Lorsque la lèpre est enfin vaincue en 1767, le Melaten est transformé en orphelinat, puis en hospice pour les plus démunis, jusqu’en 1810, lorsque la législation renoue avec l’interdiction antique d’inhumer à l’intérieur des cités. Au début de l’ère chrétienne, l’habitude avait été prise d’enterrer les défunts près ou à l’intérieur des sanctuaires qui étaient eux-mêmes souvent édifiés sur les lieux de sépulture des martyrs. Ce procédé, d’abord réservée aux rois, puis aux religieux et enfin aux laïques, déplaça peu à peu les cimetières à l’intérieur des villes, rompant avec les prescriptions romaines en matière d’hygiène qui préconisaient la séparation du monde des vivants et du monde des morts.
« Les cimetières qui bénéficient du droit d’asile et de la protection de l’Église sont devenus dans les grandes Villes, notamment dans la Capitale, des espaces de véritables rencontres sociales, religieuses et profanes (boutiques d’affaires, écrivains publics, bateliers, danseurs, jongleurs et même prostituées). La hiérarchie de l’Église catholique s’élève contre de telles pratiques en les interdisant lors de plusieurs conciles qui n’auront en définitive que peu d’effets.
[…] Vers la fin du Moyen Âge, les cimetières étaient fort nombreux, mais de très petites dimensions. À Paris, il en existait près de trois cents, pratiquement autant que d’établissement religieux. Ils étaient pour la plupart enchâssés par les habitations qui au fil du temps s’étaient construites à proximité immédiate.
Les grandes épidémies de peste décimant les habitants par milliers modifièrent l’utilisation des cimetières paroissiaux. […] Trop nombreux pour avoir des sépultures individuelles, les morts étaient enterrés en linceul dans d’immenses fosses dans lesquelles on pouvait placer deux à trois mille cadavres. C’était la fosse commune qui restait béante tant qu’elle n’était pas entièrement remplie ; une horreur ! Les odeurs nauséabondes qui s’exhalaient incommodaient toute la population des alentours » [1].
C’est ainsi que l’insalubrité du cimetière des Innocents contraint les autorités, à la fin du 18e siècle, à transférer les corps dans les anciennes carrières de Paris. En 1790, l’Assemblée Nationale renouvela l’interdiction d’inhumer à l’intérieur des églises, puis ordonna de supprimer tous les cimetières intra muros. Mais ces mesures ne s’appliquèrent réellement qu’après le décret du 12 juin 1804, signé par Napoléon Premier, obligeant les communes à créer des cimetières hors des limites communales. Comme une partie de l’Allemagne est alors sous domination française, Cologne est contrainte de déménager ses morts à l’ouest de la ville.
La municipalité rachète le terrain de l’ancienne léproserie. La conception du Melaten Friedhof sera de style classique, élaboré en damier, des allées parallèles et perpendiculaires quadrillant les champs funéraires. Mais le site, répondant à de nouvelles exigences esthétiques, est également conçu comme un parc paysager, destiné à la promenade.
Le texte de loi autorisant l’acquisition des concessions, les familles bourgeoises de Cologne acquièrent des parcelles et font construire des tombeaux richement décorés. Des sculpteurs renommés, comme Peter Joseph Imhoff ou Christian Mohr, sont sollicités pour mettre la main à la pierre, afin d’orner les tombeaux des allées principales, surnommées dans le langage populaire « les allées des millionnaires ».
La Faucheuse, par le sculpteur August Schmiemann, tombe du marchand Johann Muellemeister. Cimetière Melaten, Cologne.
Don’t blink (pardon pour ça)
Le Melatenfriedhof est inauguré en 1810 par Michael Joseph Dumont. Au début, le cimetière n’accueille que des défunts catholiques, mais en 1829, il s’ouvre aux protestants puis aux juifs en 1899.
En raison de la croissance urbaine de Cologne, il dut être agrandi à plusieurs reprises, au point de couvrir aujourd’hui 435 000 m2 et abriter plus de 50 000 tombes.
L’achat d’une sépulture est désormais impossible, car le cimetière est complet, cependant le cimetière Melaten suit la tradition allemande de revente des concessions lorsqu’un bail n’est pas renouvelé. Certains des tombeaux classés monuments historiques par la ville sont ouverts, depuis 1981, au parrainage, avec une garantie pour le donateur d’y reposer lorsque son heure sera venue.
Melmothia, 2017
[1] « Naissance, vie et mort des cimetières », Pascal Moreaux, In Etudes sur la mort, L’Esprit du temps, 2009.