Le chant du Signe

Un vieil article qu’il m’a semblé intéressant de reporter ici.

Mel

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Lorsqu’un archéologue trouve un bidule qui n’est ni une pointe de flèche ni une tasse, il le range soigneusement dans la catégorie « objets de culte ». Parfois, il ajoute une étiquette « servant dans un rituel de fertilité ». Nous aussi, dans l’ésotérisme nous avons notre grand tiroir par défaut : le symbole. Une image pas très claire, c’est un symbole. Une inscription indéchiffrable ? Sûrement un symbole. En général, lorsqu’on ne comprend pas quelque chose, on dit que c’est un symbole. On n’est guère plus avancé, mais on est content. Or, si vous demandez autour de vous ce qu’est un symbole, les adeptes du relativisme se contenteront de vérifier que le plafond n’a pas bougé en soupirant : « Mais tout est symbole ! », tandis que les obsédés du plus vieux plus mieux se lanceront dans une diatribe étymologique à base de tessons coupés en deux. Ceux-là sont les pires : pas du tout avancés, mais très très contents. Du côté des gens qui s’autorisent à penser pour les autres, la confusion règne quasiment à l’identique et vous n’en saurez guère plus à l’arrivée. La plupart des auteurs utilisent indifféremment les termes signes, symboles, figures, images, et lorsqu’ils ne le font pas, chacun y va de son acception personnelle et quoiqu’il arrive, on garde les deux pieds bien calés dans la linguistique. Pourquoi un tel chaos ? Parce qu’en route, nous avons perdu une case, celle qui nous permettrait de comprendre ce qu’est précisément un symbole. Mais n’allez pas fouiller les placards ni le frigo, ça fait longtemps qu’elle a disparu. Descartes l’a avalée en la faisant passer avec un verre de cogito pour être bien sûr qu’elle ne viendra plus mettre des bâtons dans les roues de la connaissance. Or, rien n’est plus difficile que d’analyser ou d’identifier la grille de lecture que nous posons sur le monde tant elle nous semble naturelle et légitime. Et c’est pourtant à ça que je veux vous inviter.

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Les disciples de Descartes nous ont appris que seule la pensée rationnelle avait droit de cité. Je vous entends d’ici faire « tsss-tsss » entre vos dents, mais quelle est la première question que suscite en nous un symbole ? « Qu’est-ce que ça veut dire ? » Voilà, on y est. Nous avons appris nos classiques et traitons les images comme des cryptogrammes à décoder. L’imagination, cette « folle du logis », selon l’expression classique, ne vaut rien par elle-même. Elle ne vaut qu’à condition de lui substituer des mots pour l’élucider, autrement dit pour la réduire. Ce n’est qu’alors qu’elle devient tolérable [1]. D’une façon ou d’une autre, on en revient donc toujours à « c’est bien beau, mais à quoi ça sert ? », si l’on ne parle pas de « fonction » de la pensée rationnelle, on parle volontiers de « fonction » de l’imaginaire. Il paraît légitime d’en questionner la légitimité, faute de quoi, on le congédie dans les domaines suspects du mysticisme, de l’art, ou de la folie. De l’image, d’accord, mais à condition qu’on l’interprète. Ou alors pour faire joli.

Les plus forts là-dedans sont les psychanalystes. Car ils prétendent réhabiliter l’imagination, le rêve et les arts, tout en les réduisant à des symptômes. Vous avez rêvé d’une laitue ? À quoi vous fait penser ce mot ? Marché, sac à main, fraises des bois… Quelque part un refoulé s’est caché façon image d’Épinal, il faut dévider le fil du langage pour découvrir que ce rêve est un désir refoulé de coucher avec votre mère. Vous avez rêvé laitue pour ne pas rêver de baiser maman. Vous avez peint la Joconde ? Même question et même réponse. La Joconde c’est maman. Il doit faire étroit dans la besace des psychanalystes, mais c’est ce que Freud a trouvé le mieux imité de la science. Il faut dire que chez ces gens-là comme dirait Brel, on rêve de Nobel, pas de Goncourt. L’enjeu est de taille : manger à la cantine des biologistes. D’ailleurs son rêve n’est-il pas de disséquer un névrosé pour découvrir les zones cérébrales où se logent les symptômes ? En rangeant le vestiaire d’Auguste Comte, Freud y trouve l’imagination et la recycle en outil thérapeutique d’intérêt général, il s’agit de remettre en fonction toutes ces braves hystériques pour qu’elles arrêtent d’encombrer les asiles et retournent faire de la soupe à leur mari. Quelques années plus tard, les braves époux autrichiens iront voter pour qu’on extermine les juifs, à croire qu’en ressortant du SAV, leurs femmes leur ont réclamé des orgasmes. Son refoulé est d’abord le refoulé de la société et celui de la pensée scientifique en pleine expansion. Satisfait de ses succès, dans la foulée, il va jusqu’à se mêler d’art. Entre deux hystériques, il analyse Michel Ange et lui trouve un arrière-goût d’homosexualité refoulée. Il pense avoir trouvé la source du génie : la névrose. L’origine de la civilisation aussi. Les anthropologues en rient encore. Totem et Tabou voisine Monsieur et Madame ont un fils… dans leurs fichiers blagues.

Dans cette histoire, le langage sera évidemment le grand gagnant. La psychanalyse va en faire l’outil d’accès au sens par excellence, marabout-bout-de-ficelle thérapeutique. Lacan ira plus loin, l’inconscient « est structuré comme un langage » selon la formulation classique. Sujet-verbe-complètement voilà notre DOS à nous. Il est vrai que naturellement, si j’ose dire, nous sommes programmés pour chercher du sens. Mais grâce à Descartes, Freud et ses amis, nous savons qu’il faut privilégier celui qui passe par le langage ou les maths. Logique et grammaire seront les deux mamelles de la pensée propre sur elle. L’autre versant, la pensée analogique ou sympathique, appelez-la comme vous voulez, gène aux entournures. On veut de la Raison, on veut des Mots.

Voilà les outils mentaux atrophiés avec lesquels nous devons aborder le symbole, alors que celui-là, au lieu d’aller dans le sens de la réduction, s’entête à se déployer. Et c’est là que ça coince. Car c’est difficile à penser. Une approche naïve des symboles consisterait à penser qu’il existe des tables ou un dictionnaire, à l’image des clefs des songes : « J’ai rêvé d’un corbeau… tiens ! Je vais recevoir une lettre »… Heureusement, tandis que la linguistique et la philosophie subordonnent le symbole au signe en partant du principe que tout est langage et que le langage c’est bon –mangez-en, un petit groupe de résistants s’essaie depuis un siècle à progresser à contre-courant. En tête du cortège : Carl Gustav Jung dont les théories opposent à l’inconscient freudien entièrement confectionné en libido, un inconscient collectif fourré aux archétypes et révélateur d’un appétit humain de transcendance. Derrière lui, ou plutôt dans ses traces : Gaston Bachelard, Henri Corbin, Gilbert Durand, etc. nous proposent une définition opérative du symbole opposable point par point à son frère ennemi le signe. Et si j’emploie « opérative », c’est que le débat ne porte pas sur un détail de définition pour intellos rances, mais véhicule des enjeux idéologiques qui nous concernent.

Car réduire un symbole au signe, c’est passer radicalement à côté, et c’est bien dommage dans les domaines qui nous intéressent puisque ceux-ci – ésotérisme, magie, voyance, etc. – impliquent une compréhension du monde médiée par une logique analogique avec de vrais morceaux de symboles dedans.

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Il est de coutume d’introduire une définition en faisant un peu d’étymologie, ce ne sera pas le cas ici et je vais vous dire pourquoi : c’est franchement peu éclairant. Le sens des mots évolue ; le terme sumbolon pour les Grecs ne renvoyait certainement pas à la réalité que nous essayons d’évoquer. L’étymologie d’un mot ne révèle d’ailleurs pas son essence, mais simplement son origine – ou son origine supposée. Elle n’a pas valeur de preuve ni de définition et il est naïf d’espérer y retrouver l’essence d’une chose dissimulée à la façon d’un cryptogramme, or c’est une illusion assez courante dans le monde de l’ésotérisme.

Pour nous y retrouver, nous allons plutôt nous appliquer à relever ce qui différencie un symbole d’un signe. Les signes se distinguent en premier lieu par leur caractère conventionnel, ce qu’on appelle l’arbitraire du langage : le terme n’a pas de rapport direct avec la « chose », il a été simplement décidé que tel mot renverrait à tel objet. Ainsi, en français, on dit « chat », mais on dit « cat » en anglais, « gato en espagnol, etc., :

« Les signes de cette sorte n’étant qu’un moyen d’économiser des opérations mentales […] Il suffit que l’on déclare qu’un disque rouge barré de blanc signifie que je ne doive pas avancer, pour que ce signal devienne celui du ‘sens interdit’ » [2] .

À l’inverse, les significations du symbole ne sont pas arbitraires, elles tiennent directement de la chose concernée. Elles relèvent d’évidences littérales aussi bien que d’une lecture culturelle et affective de l’objet :

« On lit et analyse l’objet c’est-à-dire ce qui se trouve là, posé devant nous. On y verra par exemple un arbre, on y reconnaîtra des racines, un tronc, des branches et une cime ; on pourra l’inscrire entre ciel et terre, y lire une tension verticalisante et un déploiement horizontal […] et puis deuxième mouvement, on explorera le contexte, l’histoire et la logique de l’apparition de l’arbre, etc. » [3].

Cette définition concerne en priorité les symboles « naturels », constituants du monde avec lesquels les hommes vivent et interagissent : l’eau, le feu, les plantes, le ciel, les astres, etc. S’ajoutent à cela des compositions imaginaires telles que le phénix et d’autres types de symboles, ceux-là produits par la culture. On pourrait, dans ce dernier cas, parler de symboles « secondaires » ; ce sont les chiffres, certains signes investis : cercle, pentacle, etc. Cependant, s’ils n’émergent pas du monde naturel, ceux-là ne sont jamais « décidés » par l’homme. Comme le dit Jung :

« Le signe est toujours moins que le concept qu’il représente, alors que le symbole renvoie toujours à un contenu plus vaste, que son sens immédiat et évident. En outre, les symboles sont des produits naturels et spontanés. Aucun génie n’a jamais pris une plume ou un pinceau en se disant : maintenant, je vais inventer un symbole » [4].

Un symbole ne sera jamais expliqué une fois pour toutes. C’est une image infiniment ouverte, infiniment extensible, qui va jusqu’à amalgamer les contraires. Ainsi, l’eau sera symbole de vie, parce que la vie est née dans les océans, parce que le fœtus baigne dans le liquide amniotique, parce que l’eau est vitale à l’organisme, etc. Elle est purificatrice parce qu’elle lave, mais également parce que sa transparence connote la pureté. Mais elle peut-être également léthale, auquel cas, elle renvoie aux notions d’engloutissement, de chaos, etc.

« Le propre du langage symbolique est de rassembler sous un seul point de vue, d’expliquer, d’exprimer en un seul mot plusieurs propriétés d’un même objet, de telle sorte qu’elles se produisent instantanément et à la fois, et que l’être soit capable de les saisir par une intuition soudaine et d’un seul coup d’œil » [5].

À défaut d’un sens définitif auquel réduire le symbole, puisqu’il ne cesse de s’étendre et de s’enrichir, ne reste en définitive que le symbole lui-même, dans tout ce qu’il signifie ou implique. En langage anthropologique, on formule l’équation ainsi :

« Le symbole est un signifiant éternellement veuf du signifié » [6].

Et voilà le virage intéressant. Ce renvoi du sens aux calendes grecques, a pour conséquence qu’en dernier ressort le symbole ne « vaut que par lui-même ». Dans l’arbre, l’eau, le feu, etc. seront présentes toutes ces qualités et ces valeurs que chacun de ces symboles nous évoque, actualisées ou, pour ainsi dire « incarnées » dans l’image. Durand parlera de dimension épiphanique du symbole, la présence ici et maintenant d’un indicible. De là, l’importance de son utilisation en magie dont l’un des présupposés est que l’objet magique rend présentes et actives les forces qu’il symbolise. À défaut d’être élucidé en un sens qui tiendrait dans la main ou dans une phrase, le symbole devient lui-même lieu de la transcendance.

Un dernier point important : les images symboliques sont perméables entre elles ; il n’existe pas de cloison étanche, plutôt un réseau de liens complexes. Après avoir considéré l’aspect purificateur et régénérant de l’eau, l’observateur notera que le flux de la rivière est une bonne métaphore de la fuite du temps. De là, son lien avec la lune, déjà marqué à propos de la féminité et de la fertilité, se trouvera renforcé par l’aspect cyclique, etc. L’interprétation d’un symbole mène naturellement à en fréquenter d’autres et à reconnaître des redondances, par recoupements de sens, oppositions, amalgames, etc.

On peut ainsi considérer que notre univers imaginaire est quadrillé par des nébuleuses d’images qui le peuplent et le structurent, tout comme le langage et les maths quadrillent dans notre esprit l’univers rationnel. Une logique spécifique préside à ce tissage de sens, non pas cartésienne, mais analogique, une logique que le petit groupe de résistants sus-cités tente depuis un siècle de décrire dans leurs œuvres sous les appellations variées d’« archétypes » ou de « constellations symboliques ».

Melmothia 2007.

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(1) Ce que Gilbert Durant appelera « l’iconoclasme » de l’occident.

(2) Gilbert Durand, L’imagination symbolique, Éditions PUF, 1964, p.9

(3) Perot Jean Luc, « Regards symboliques », Site de l’association Rota Solis, Tradition & Sciences Traditionnelles.

(4) C.G. Jung, L’homme et ses symboles, Robert Laffont, 1964, p. 55.

(5) Vanden Berghen Christian, « Symbole, symbolique et symbolisme », sur le Site de l’association Rota Solis, Tradition & Sciences Traditionnelles.

(6) Gilbert Durand, Op. Cit. p. 8

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