La Hammer voit le jour en 1934 grâce à la rencontre de deux hommes : Enrique Carreras et William Hinds.
Le premier est un homme d’affaires espagnol décidé à investir dans le spectacle. En 1913, il a acheté, avec son frère qui l’a rejoint en Angleterre, un premier théâtre à Londres, auquel se sont ajoutés les années suivantes d’autres édifices pour constituer une chaîne connue sous le nom de « Blue Hall circuit ». Rebelote dix ans plus tard avec les cinémas. En 1923, il acquiert sa première salle (The Harrow Coliseum) dans laquelle sont projetés des films à petit budget. D’autres suivront les années suivantes pour former un véritable empire. Satisfait de ses investissements, il décide de créer de sa propre compagnie de distribution : la Christened Exclusive Films.
William Hinds est également un homme d’affaires qui rêve de spectacle. Co-gérant avec son frère de la chaîne de bijouteries familiale F. Hinds, il investit dans l’achat de théâtres tout en s’essayant à la scène en formant un duo comique : Hammer et Smith. Si son talent de comédien laisse le public perplexe, ses investissements se révèlent lucratifs. Nostalgique, lorsqu’en novembre 1934, il fonde son entreprise de production cinématographique, il lui donne son nom de scène : la Hammer Film Productions.
Alors que le tournage du premier film produit par la Hammer, The Public Life of Henry the Ninth, s’achève en janvier 1935, William Hinds fait la rencontre d’Enrique Carreras. Rapidement, les deux hommes décident de s’associer sous la bannière Exclusive. Le long métrage suivant, The Mystery of the Mary Celeste, réalisé par Denison Clift la même année, constitue la toute première incursion de la Hammer dans le genre fantastique. Le rôle central y est tenu par le célèbre Bela Lugosi.
Après une poignée de films dont l’histoire ne retiendra pas les titres, tels que Song of Freedom de J. Elder Wills (1936) ou The Bank Messenger Mystery de Lawrence Huntington (1937), la guerre met temporairement un terme aux activités de la Hammer, même si Exclusive Films poursuit peu ou prou son activité de distribution.
La Hammer Film reprendra ses activités en 1946 sous l’impulsion des fils de ses fondateurs : James Carreras et Anthony Hinds, qui ont intégré l’entreprise en 1938 et y joueront un rôle de plus en plus important. Anthony Hinds, par exemple, produira, dans les années 60, sous le pseudonyme de John Elder, quelques-uns des films les plus fameux de la compagnie.
En attendant, la Hammer cherche encore son genre et une viabilité commerciale. Un accord est ainsi passé avec un producteur américain, Robert Lippert, qui assure aux États-Unis la distribution des films estampillés Hammer / Exclusive tandis que la Hammer lui rend la politesse en Angleterre. L’accord est profitable à la société qui peut désormais augmenter le budget de ses productions, recruter des acteurs et des réalisateurs confirmés. C’est ainsi qu’en 1951, le réalisateur Terence Fisher signe son premier film pour la Hammer, un thriller intitulé The Last Page.
La même année, la compagnie fait l’acquisition d’une grande demeure au bord de la Tamise, Down Place, qu’elle transformera ultérieurement en studio. L’endroit sera le cadre de la plupart des films tournés durant la décennie suivante.
C’est dans les années 60 que la Hammer se spécialise dans le « fantastique gothique », ressuscitant, dans les traces d’Universal Pictures, les monstres mythiques de la littérature du 19e siècle. Le Monstre, réalisé en 1955 par Val Guest, marque le début de cette période faste. À cheval entre la science-fiction et l’horreur, le film a pour héros le professeur Bernard Quatermass, un personnage créé par Nigel Kneale pour une série télévisée de la BBC. À l’instar de la série, le film remporte un grand succès, ce qui incite les studios à poursuivre dans la même veine. Une suite sera même tournée deux ans plus tard sous le titre La Marque.
En 1957, Terence Fisher réalise son adaptation de Frankenstein, Frankenstein s’est échappé, dans lequel les deux acteurs Peter Cushing et Christopher Lee se partagent la vedette. Le succès du film permet à la Hammer d’obtenir les droits d’Universal Pictures sur les classiques de la littérature gothique. Cette première production sera suivie du Cauchemar de Dracula l’année suivante, puis d’autres qui assurent la consécration des studios tels que La revanche de Frankenstein en 1958, Le Chien des Baskerville en 1959, Raspoutine, le moine fou en 1966, etc.
De 1958 à 1965, tous les classiques de l’horreur, à l’exception de l’homme invisible qui reste la propriété d’Universal, seront portés à l’écran par la Hammer. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, c’est souvent l’escouade formée par Terence Fisher qui est sollicitée. On y retrouve le scénariste Jimmy Sangster, le directeur de la photographie Jack Asher, le caméraman Len Harris, le décorateur Bernard Robinson, le musicien James Bernard et le fils du fondateur de la compagnie, désormais producteur : Anthony Hinds. Les mêmes acteurs, les mêmes décors et souvent la même équipe technique permettent à la Hammer de fidéliser son public tout en obtenant de larges bénéfices avec un minimum d’investissement. Un principe d’économie donc, qui se ressent même sur les salaires, ce qui n’empêchera pas un grand nombre de comédiens, réalisateurs et scénaristes talentueux de signer avec la compagnie, tels que Freddie Francis, Roy Ward Baker, Val Guest, Don Sharp ou John Gilling.
Pour se démarquer des films d’Universal Pictures, la Hammer mise sur plusieurs ingrédients : outre le cachet particulier des décors, les films étant majoritairement tournés dans les studios Bray, pour la première fois meurtres et épanchements de sang sont montrés de façon réaliste, un parti-pris qui choque les critiques et séduit le public, sans oublier l’incontournable touche d’érotisme, la Hammer employant souvent de belles actrices, parmi lesquelles Hazel Court, Barbara Shelley et Veronica Carlson, que les réalisateurs font déambuler en nuisette dans les catacombes.
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Après une décennie de prospérité, le public commençant à se lasser, la Hammer décida de modifier sa politique, en partie sur l’initiative de Michael Carreras devenu directeur après la mort de son grand-père en 1950. Il fut, par exemple, convenu de faire davantage porter l’accent sur le sexe et la nudité. La compagnie produisit ainsi des films tels que Vampire lovers réalisé par Roy Ward Baker en 1970, une adaptation du roman Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu, avec la belle Ingrid Pitt dans le rôle d’une vampire bisexuelle. Deux suites furent tournées l’année suivante, la première par Jimmy Sangster sous le titre Lust for a Vampire et la seconde par John Hough, étrangement titrée Les Sévices de Dracula le célèbre comte n’y effectuant aucune apparition.
Cette époque marqua le déclin de la Hammer. Des productions américaines telles que L’exorciste (William Peter Blatty, 1973) ou Un bébé pour Rosemary (Roman Polanski, 1968) reléguèrent aux oubliettes les vampires charismatiques et les décors gothiques. En novembre 1970, la compagnie vendit les studios Bray. Elle continua de produire des films jusque dans les années 80, avant d’entrer en léthargie, malgré quelques tentatives pour ranimer sa flamme passée. Une mi-série télévisée de 13 épisodes vit ainsi le jour en 1980 sous le titre La Maison de tous les cauchemars (Hammer House of Horror).
Mais la Hammer pourrait bien renaître enfin de ses cendres. En 2008, la compagnie se lança dans une expérimentation sur internet, diffusant vingt épisodes d’environ 5mn chacun d’une histoire de vampires intitulée Beyond The Rave. L’expérience fut un succès. En 2010, un partenariat fut signé avec la maison d’édition Random House UK, avec pour première conséquence un remake du film suédois de Tomas Alfredson, Morse, lui-même adapté d’un roman de John Ajvide Lindqvist. Laisse-moi entrer, réalisé par Matt Reeves, narre les aventures d’Owen, un adolescent solitaire et introverti, qui se lie d’amitié avec une jeune vampire. Enfin l’année 2012 vit la sortie de l’excellent The Woman in Black (La Dame en noir) réalisé par James Watkins, remake du film éponyme sorti en 1989, adapté d’un roman de Susan Hill. Daniel Radcliffe y interprète le rôle principal. Le film bénéficia, deux ans plus tard, d’une suite, La Dame en noir 2 : L’Ange de la mort, réalisée par Tom Harper.
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Melmothia, 2012.
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Filmographie sélective :
Le Monstre (The Quatermass Xperiment), Val Guest, 1955.
Frankenstein s’est échappé (The Curse of Frankenstein), Terence Fisher, 1956.
La Marque (Quatermass 2), Val Guest, 1957.
Le cauchemar de Dracula (Horror of Dracula), Terence Fisher, 1957.
La Revanche de Frankenstein (The Revenge of Frankenstein), Terence Fisher, 1957.
Les deux visages du Dr Jekyll (The Two Faces of Dr Jekyll), Terence Fisher, 1959.
Dracula, Prince des Ténèbres (Dracula, Prince of Darkness), Terence Fisher, 1960.
Les Maîtresses de Dracula (The Brides of Dracula), Terence Fisher, 1960.
La Nuit du loup-garou (The Curse of the Werewolf), Terence Fisher, 1961.
L’invasion des morts-vivants (The Plague of the Zombies), John Gilling, 1965.
Raspoutine le Moine Fou (Rasputin The Mad Monk), Don Sharp, 1966.
Vampire lovers, Roy Ward Baker, 1970.
La Maison de tous les cauchemars (Hammer House of Horror), 13 épisodes, 1980.
Laisse-moi entrer (Let me in), Matt Reeves, 2010.
La Dame en noir (The Woman in Black), James Watkins, 2012.