Falcifer – Seigneur des Ténèbres (10)

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Falcifer – Seigneur des Ténèbres

(Deofel Quartet, Volume I) Anton Long

Order of Nine Angles

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Première publication : 1976 e.n.

Version corrigée (v.1.01) 119 année de Fayen

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CHAPITRE XIX

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Plusieurs fois, durant leur bref voyage, Miranda tenta d’engager la conversation avec Baynes mais, à chaque fois, elle échoua. Il demeura silencieux même lorsqu’ils quittèrent la voiture, à proximité de leur destination, pour finir à pied les quelques centaines de mètres qui les séparaient de la demeure. Ce fut seulement arrivé à proximité qu’il lâcha : « Je crains, dit-il en montrant une empreinte de pneus dans la neige, que nous n’arrivions trop tard. »

La porte était ouverte. Il pénétra dans la maison avec précaution. Aucun son ne semblait venir de l’intérieur. Miranda sur ses pas, il vérifia soigneusement chaque pièce. La maison était vide.

« Elle serait partie avec eux ? », demanda Miranda lorsqu’ils furent revenus à la porte d’entrée.

« Ou bien, elle a été enlevée. »

« Pourquoi feraient-ils cela ? »

« Je présume qu’elle a de la valeur. Une personne possédant un tel pouvoir de, comment dire ?, persuasion pourrait être considérée à certains égards comme un sacrifice idéal. »

« C’est ma faute », soupira Miranda tristement.

« Pas du tout. Nous ne savons toujours pas si elle est impliquée là-dedans. »

Il l’invita à sortir.

« Je me sens tellement coupable. », dit-elle.

« Ce n’est pas nécessaire. », dit-il gentiment.

Elle profita du ton de sa voix et de sa proximité pour poser sa tête sur son épaule. Il la tint contre lui, sans conviction et brièvement, puis recula. « À présent », dit-il en lui donnant les clés de sa voiture, « pourriez-vous rapporter à Frater Togbare ce qui était arrivé ? »

« Oui. »

« Bon. Je vais prendre des dispositions nécessaires. »

« Pour entrer dans leur temple ? »

« Exactement, je pense que ça prendra une heure tout au plus. Dites à Frater Togbare de se tenir prêt à partir d’ici là. »

« Est-ce qu’à trois, nous serons assez nombreux ? »

Il la regarda pendant quelques secondes avant de répondre : « Je ne peux pas vous laisser y aller. », déclara-t-il un peu pompeusement.

« Mais je viens ! » dit-elle avec détermination.

« Non, vous ne venez pas. »

Elle tenait sa tête légèrement penchée sur le côté, appuyant ses mains sur ses hanches.

« Parce que je suis une femme ? » demanda-t-elle avec une pointe de colère dans la voix.

« En fait, oui. »

« Oh je vois !, se moqua-t-elle, c’est un boulot de mec, c’est ça ? »

« Ça pourrait être dangereux. »

« D’accord ! Et nous les faibles femmes, nous ne pouvons pas faire face à un danger, c’est ce que vous voulez dire ? »

À présent, elle était vraiment en colère.

« Je ne dis pas cela », protesta-t-il

« Mais c’est ce que vous voulez dire ! »

« Écoutez, il y a des choses plus importantes à l’heure actuelle que cette dispute stupide ! »

Il se commençait à se sentir lui-même anormalement contrarié. Elle lui sourit, convaincue d’avoir suscité une certaine émotion en lui.

« Nous serons prêts quand vous reviendrez », dit-elle. Elle n’attendit pas sa réponse et se dirigea vers sa voiture.

Baynes regarda la voiture s’éloigner sous la neige avant de retourner dans la maison. Le téléphone fonctionnait et il composa le numéro de Sanders. « Baynes à l’appareil. À quel endroit pourrions-nous nous rencontrer ? Disons dans une quinzaine de minutes. »

« Laissez-moi tranquille, fit la voix de Sanders, je vous ai déjà fait une faveur… »

« Attendez ! Il y aura encore plus d’argent, cette fois-ci. »

« Je ne suis pas intéressé. »

« Je vous demande simplement de me rencontrer. C’est dans votre intérêt à long terme. Vous voyez ce que je veux dire ? »

Sanders soupira et Baynes sourit. « Où ? », demanda-t-il. Baynes lui donna l’adresse et s’assit sur les escaliers pour l’attendre.

Sanders arriva en retard.

« C’est votre voiture ? », demanda Baynes.

« Ouais. »

« Alors, allons-y. »

Sanders démarra et demanda : « où ? »

« Pour l’instant, chez moi. Vous êtes déjà allé dans le Temple du Maître, j’imagine. »

« Peut-être. »

« Excellent. »

Baynes ne dit plus rien jusqu’à ce qu’ils arrivent dans la demeure. « Des amis à moi », dit Baynes en conduisant Sanders dans le bureau où Miranda et Togbare attendaient.

« Bonjour Miranda », dit Sanders.

« Vous vous connaissez ? », demanda Baynes, surpris.

Sanders leva les sourcils et eut un sourire lascif : « J’ai entendu parler d’elle. C’est un petit monde, l’occultisme. »

Il regarda ses seins. Miranda le fixa à son tour et Sanders détourna les yeux nerveusement.

« Vous avez dit, demanda Baynes, que vous étiez déjà allé dans le temple sataniste. »

« Nous sommes dans un pays libre ». Il haussa les épaules.

« Pouvez-vous nous conduire là-bas ? »

« Vous êtes sérieux ? » Et comme Baynes ne répondait pas, il ajouta : « Donc vous êtes sérieux. »

« Naturellement, cela en en vaudra la peine. Financièrement, bien sûr. »

« Combien ? », chuchota-t-il à l’attention de Baynes.

« Soixante mille. »

« C’est beaucoup d’argent ! » Il réfléchit quelques secondes : « Et tout ce que je dois faire, c’est vous conduire là-bas ? »

« Exact. »

« Quand ? »

« Maintenant. »

« Maintenant ? », s’exclama Sanders, surpris.

« Oui. Et pas d’arnaque. Je sais que le Temple est sous la maison, mais je sais aussi qu’il y a une entrée secrète quelque part. »

« Vous êtes bien informé », dit Sanders, de nouveau surpris.

« J’ai mes sources d’information. »

« Comme si je ne le savais pas ! » dit Sanders, presque en aparté. « Et l’argent ? »

« Demain. Lorsque les banques seront ouvertes. »

« Que tout soit clair, dit Sanders, en faisant tournoyer le pentagramme inversé qu’il portait autour de son cou, je vous conduis là-bas et ensuite je suis libre de m’en aller ? »

« Exactement. À condition, bien sûr, vous n’informiez personne de notre présence. »

« Vous me prenez pour qui ? Je sais que vous avez des flics dans la poche. »

« On y va, alors ? »

« Votre voiture ou la mienne ? », plaisanta Sanders.

« S’il vous plaît, Togbare dit tranquillement à Baynes, puis-je vous parler ? Seul ? »

« Si vous voulez. Veuillez nous excuser un moment. », dit Baynes à l’adresse de Miranda. Une fois dans le couloir, il ferma soigneusement la porte du bureau.

« Ce plan est le vôtre, dit Togbare, mais n’allons-nous pas trop vite ? »

« Je ne crois pas. »

« Mais aller dans leur Temple… »

« Quel choix avons-nous ? Ils sacrifieront Stanford et, d’après ce que nous savons, il est possible qu’ils sacrifient également Denise. Est-ce que Miranda ne vous a pas dit que Denise était « virgo intacta » ? »

« Non. »

« Vous ne comprenez pas ? Je suis sûr que leur rituel aura lieu ce soir. »

« Le sang d’une vierge — oui, oui. », marmonna Togbare.

« Votre présence durant le rituel suffira, j’en suis certain, à le perturber. »

« C’est possible, oui, mais le danger physique… »

« Je vais bien sûr laisser un message à un ami à moi, un agent de police. Si nous ne revenions pas, il ouvrirait une enquête. Croyez-moi, il n’y aura pas de seconde chance. Peut-on se permettre d’attendre ? Et si nous ne faisons rien et que ce soir, ils réalisent leurs sacrifices et ouvrent les portes de l’abîme ? Le mal libéré se répandra comme un poison à grande échelle, entraînant de nombreuses possessions démoniaques !… La démence… Des crimes commis par des êtres à la volonté faible… »

« Oui, oui, bien sûr, dit Togbare, vous avez raison. »

« Leur succès, continua Baynes, leur donnerait un pouvoir magique — un pouvoir magique satanique — défiant toute imagination. Nous serions impuissants. Et leurs Dieux Sombres reviendraient hanter la Terre… »

« Vous avez exprimé mes propres peurs. Je vais donc me préparer afin d’être prêt à partir. Que Dieu nous protège. »

Baynes quitta Togbare occupé à marmonner des prières. Dans le bureau, il trouva Sanders à genoux sur le sol, tenant ses organes génitaux, le visage crispé par la douleur.

« Comme vous pouvez le constater, dit Miranda avec un air de triomphe, nous, les femmes, sommes capables de prendre soin de nous-mêmes ! Vous me laisserez conduire ? »

Baynes et Sanders la regardèrent quitter la pièce.

***

CHAPITRE XX

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Sinister Tarot, Atu V, Master. Christos Beest
Sinister Tarot, Atu V, Master. Christos Beest

« Ton mariage avec notre fille, avait dit Tanith, aura lieu en premier. » Un prélude, pensa Conrad, à la fugue qui serait l’ouverture des portes de l’abîme.

Il se tenait dans le temple éclairé par des bougies, resplendissant dans le tabard pourpre que Tanith lui avait donné pour la cérémonie. La congrégation formait une procession jusqu’à l’autel sur lequel étincelait le tétraèdre, et Conrad se tenait en face, avec le Maître et Tanith, attendant sa fiancée satanique.

Il y eut un battement de tambour et Guédor, Susan se tenant à ses côtés, descendit les marches de pierre qui conduisaient au Temple. La jeune femme était vêtue de noir. Elle portait un voile et une robe fluide. Elle passa seule devant la congrégation, Guedor étant demeuré à proximité de l’entrée, pour monter la garde.

La tenue vert émeraude de Tanith semblait irisée dans la lumière dansante des bougies. Elle salua sa fille d’un baiser avant de joindre sa main à celle de Conrad.

« Nous, Maître et Maîtresse de ce Temple », dirent Aris et Tanith ensemble, « nous vous saluons, vous qui êtes réunis pour assister à ce rite. Que la cérémonie commence ! »

De nombreuses voix s’élevèrent dans la congrégation pour chanter : « Agios o Satanas ! Agios o Satanas ! »

« Nous sommes réunis ici, dit le Maître, pour unir par serment et par notre magie noire cet homme et cette femme, afin qu’ils deviennent des sanctuaires internes pour nos dieux ! »

« Nous les saluons !, scanda Tanith, ceux qui viennent au nom de nos dieux ! Nous prononçons les noms interdits ! »

Le Maître leva les mains et se mit à vibrer le nom Atazoth, puis celui de Vindex, tandis que Tanith incitait la congrégation à chanter « Agios o Satanas ! Agios o Satanas ! Agios o Baphomet ! Agios o Baphomet ! » les tambours battant de plus en plus fort et avec plus d’insistance.

Puis, sur un signe de Tanith, ils s’arrêtèrent brusquement. Le silence soudain surprit quelque peu Conrad.

« Acceptes-tu, lui dit le Maître, toi qui es connu dans ce monde sous le nom de Conrad Robury, Amilichus, connue sous le nom de Susan Aris, pour maîtresse satanique, selon les préceptes de notre foi et pour la gloire de nos Dieux Sombres ? »

« Je l’accepte », répondit Conrad.

« Alors, donne-lui comme symbole de ton serment cet anneau. »

Conrad prit l’anneau d’argent et le passa au doigt de Susan.

Aris se tourna vers sa fille : « Et toi, Amilichus, acceptes-tu pour maître satanique, cet homme, connu dans ce monde comme Conrad Robury et que nous honorons aujourd’hui sous le nom de Falcifer, selon les préceptes de notre foi et pour la gloire de nos Dieux Sombres ? »

« Je l’accepte », répondit Susan.

« Alors, donne-lui comme symbole de ton serment cet anneau. »

Elle prit l’anneau d’argent et le passa au doigt de Conrad.

« Regardez-les ! Écoutez-les ! Connaissez-les ! Et que l’on sache, parmi les nôtres et ceux de notre espèce, que toute personne présente ici ou n’importe où ailleurs qui chercherait à séparer ce Maître et cette Maîtresse contre leur volonté, serait maudite, rejetée de notre famille et condamnée à périr, par notre magie, d’une façon misérable ! Écoutez bien mes paroles ! Soyez attentifs ! Entendez-moi, vous tous réunis dans mon Temple ! Entendez-moi, vous tous liés par la magie de notre foi ! Entendez-moi, Dieux Sombres présents ici comme témoins de ce rite ! »

Tanith délia leurs mains pour entailler, avec un couteau bien aiguisé, d’un geste rapide, leurs pouces. Elle pressa le pouce de Conrad sur le front de Susan, y laissant une marque rouge, avant de procéder sur Conrad de la même manière, puis d’appuyer les deux pouces l’un contre l’autre pour mélanger les sangs. Puis elle pressa quelques gouttes de leur sang sur un triangle de parchemin. Il y avait un bol en argent sur l’autel contenant un liquide qu’Aris alluma avant que Tanith ne jette le parchemin dans les flammes.

« Par ce brasier, dit-elle, je déclare ce couple marié ! Que leurs enfants soient nombreux et deviennent à leur tour des aigles qui fondent sur leur proie ! »

« Mais souvenez-vous, dit Aris, vous qui, en nous rejoignant, avait trouvé une magie capable de créer, n’aimez jamais votre conjoint au point de ne pas supporter sa mort, lorsque son heure sera venue. »

« Saluons, déclara Tanith, les nouveaux Seigneur et Dame de l’obscurité ! »

Le baiser de Tanith fut le signal pour les membres de la congrégation, qui vinrent alors féliciter le prophète et son épouse.

*********

Aucun véhicule ne troubla la tranquillité du chemin qui traversait la végétation indomptée du bois pour conduire à la maison du Maître, et Miranda gara la voiture sur le talus recouvert de neige. Celle-ci avait cessé, et la scène offrait une beauté presque surnaturelle : les arbres enneigés, la blancheur immaculée des champs, le silence dans l’air immobile et froid de la nuit.

Mais l’horizon au-dessus des champs commença à se troubler, comme si le ciel lui-même était en fureur. Le rouge, l’indigo et le pourpre y rivalisaient. À chaque instant s’accomplissait un changement subtil dans la couleur ou l’intensité. Pourtant, il n’y avait aucun bruit — ce qui aurait été le cas si un orage physique en avait été la cause.

Puis, aussi soudainement qu’il s’était manifesté, le spectacle cessa, laissant Miranda et les autres contempler un ciel saturé d’étoiles.

« Par ici », dit Sanders qui avançait au milieu des arbres.

Il y avait une clôture dans le bois, mais il l’escalada facilement, tandis que Baynes aidait Togbare et Miranda à faire de même. Bientôt, le sous-bois s’épaissit et Sanders les conduisit par un chemin étroit et sinueux, dans le silence, s’arrêtant fréquemment pour attendre ses compagnons. Baynes restait derrière lui, une main dans la poche de sa veste, tenant le revolver.

La neige dissimulait de profondes ornières à certains endroits du chemin qui serpentait entre les arbres, les buissons, les fougères mortes et les broussailles entortillées. Togbare trébucha et tomba.

« Est-ce que ça va ? », demanda Miranda.

« Oui, merci. » Lentement, il se remit sur pieds à l’aide de son bâton.

Il s’efforça de ressentir la puissance des rituels destinés à contrer la magie des satanistes et qui devaient être entrepris à ce moment même sur ses instructions, mais rien. Aussi intensément qu’il se concentrait pour capter les émanations de l’éther astral, il ne ressentit rien du tout et il lui fallut quelques minutes, alors qu’il suivait le chemin dans les broussailles, pour en comprendre la raison. Le bois était comme un vortex dans le tissu de l’espace-temps, absorbant toutes les énergies psychiques qui rayonnaient vers lui. Il soupira, car cela signifiait qu’ils seraient seuls dans la bataille magique à venir.

Il aperçut une clairière devant lui, où les autres s’étaient arrêtés pour l’attendre. Comme il l’atteignait, il fut surpris par l’étrange cri d’un grand-duc. Il avait déjà entendu ce chant auparavant, dans les forêts de la Scandinavie, et il leva les yeux pour voir le grand prédateur plonger vers le visage de Sanders, ses griffes crochues en avant, prêtes à frapper.

Sanders se protégea le visage avec son bras. Togbare leva rapidement son bâton et l’énorme hibou fit un virage spectaculaire et très vite, il fut loin au-dessus des arbres. Quelques secondes plus tard, ils entendirent de nouveau son cri briser le silence qui enveloppait le bois.

« Venez », dit Togbare, « nous devons nous dépêcher. Ils savent à présent que nous sommes ici. »

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