Il fallait que ça arrive un jour ou l’autre, alors voilà : j’ai fini par visiter les catacombes de Paris. Du moins un petit bout, l’ossuaire de Denfert-Rochereau. Visite en groupe à vot’ bon cœur merci pour le guide. Rien de bien aventureux donc, mais j’ai quand même failli enrichir de deux nouvelles dents le mur d’ossements – on n’anticipe jamais assez à quel point c’est glissant la pierre humide -.
Si le paysage est plutôt monotone, après des galeries vides, ce sont des os, des os et encore des os, l’histoire du lieu est, par contre, folklorique à souhait. Ainsi que le commente très justement le site Paris Pittoresque : « Cette promenade sépulcrale n’offre aucun des aspects grandioses dont l’imagination se plaît à la revêtir. Il semble qu’on parcourt une cave, entre d’innombrables casiers qui, au lieu de bouteilles, renferment des os et des crânes symétriquement rangés ». Pour cette raison, il vaut mieux se fendre de quelques euros supplémentaires pour avoir un guide, on y apprend alors ce que je vais de vous raconter, plus quelques autres trucs.
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Le 30 mai 1780, un habitant de la rue de la Lingerie a la surprise de voir débouler dans sa cave toute une cargaison de morts putréfiés. L’un des murs, mitoyen de la fosse commune, s’est écroulé sous le poids des cadavres. Le type, contraint de patauger dans le jus pour atteindre ses bouteilles, en ressort probablement agacé puisque l’incident décide les autorités à intervenir et à régler le problème du cimetière des Saints-Innocents : en premier lieu, l’endroit est fermé pour cinq ans, ensuite on réfléchira.
Il faut préciser qu’en matière d’enterrement, les méthodes de l’époque sont plutôt rudimentaires. Depuis dix siècles, l’endroit accueille les morts d’une vingtaine de paroisses parisiennes auxquels s’ajoutent ceux de l’Hôtel-Dieu. Ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir un caveau, à savoir les trois quarts de la population, atterrissent dans des fosses pouvant atteindre quinze mètres de profondeur où les dépouilles sont empilées, couche après couche, façon millefeuille, et vaguement saupoudrées de chaux. Couvrez avec des planches de bois et laissez pourrir.
Régulièrement, les premières strates sont retirées pour laisser la place aux jeunes, comme dirait Brassens. Les restes sont transférés dans des ossuaires, mais l’espace manquant décidément, dès le XVIe sont construits des charniers, à savoir de grandes arcades de pierre dans les combles desquelles sont entassés les os retirés des fosses.
La présence du cimetière met de l’animation dans le quartier : liquides suintant depuis les fosses jusque dans les fondations et les caves des maisons, pollution de l’eau, épidémies, odeurs pestilentielles en surface, à côté des étalages de légumes et de viandes – vous êtes sûr qu’il est bien frais votre poisson ?… Il y a bien eu des plaintes et des rapports médicaux constatant l’insalubrité des lieux, mais les médecins de l’académie des sciences trouvent des coupables tout désignés dans les locataires d’un immeuble de la rue de la Ferronnerie ayant la fâcheuse habitude de vider leurs seaux d’aisance par les fenêtres.
Pour le principe, on aère un peu les fosses communes, on change la terre et on décrète que ça ira comme ça. Durant la manœuvre, force est de constater que le sol est monté de deux mètres cinquante à force d’être gavé de corps, ou pour le dire trivialement : le cimetière des Innocents a les dents du fond qui baignent. Cependant, jusqu’à l’incident de la cave, c’est un problème pour lequel il semble surtout urgent d’attendre. Malgré l’air embaumé, le cimetière des innocents reste un lieu très fréquenté où se côtoient marchands ambulants, écrivains publics, prostituées et couples d’amoureux, main dans la main et l’autre pour pincer les narines. D’ailleurs les choses ne se sont-elles pas nettement améliorées depuis que Philippe Auguste l’a fait clôturer afin que les cochons des fermes voisines cessent de fouiller le sol pour se nourrir dans les tombes peu profondes ? Alors, de quoi on s’plaint, hein ?
Après le transfert du cimetière dans la cave du voisin, il faudra patienter encore pour voir appliquer la décision de fermer le lieu, puis pour déménager ces braves défunts dans un endroit où ils pollueront moins. L’idéal, ce sont les anciennes carrières, ces 300 km de galeries transformant Paris en emmental. Justement, une commission a été créée en 1777 pour éviter qu’elles avalent la ville dans un grand bruit de mâchoires. Lenoir, alors lieutenant de police, a l’idée de faire d’une pierre deux coups : consolider les carrières et vider le cimetière des Innocents. Les travaux terminés, c’est son successeur Thiroux de Crosne qui a l’honneur d’inaugurer ce qui ne s’appelle pas encore les catacombes en ce 7 avril 1786.
Le transfert des ossements peut commencer, par convois et en grande pompe (forcément). Des chars funèbres recouverts de draps noirs traversent toutes les nuits la ville au ralenti, accompagnés de prêtres chantant l’office des morts, le tout éclairé par des torches. La migration durera 15 ans. Les voisins devaient être une fois de plus ravis, mais au moins ça ne dégoulinait plus dans leurs sous-sols.
Les os en provenance d’autres cimetières parisiens venant finalement rejoindre ceux du cimetière des Innocents, ce sont en tout 6 millions de squelettes qui reposent là-dessous, au début dans le désordre puis quelqu’un a l’idée d’agencer tout ça.
En 1809, un certain Louis Héricart de Thury succède à Thiroux de Crosne à la tête du service des carrières. Sans doute influencé par le romantisme naissant, le nouveau patron des lieux décide de relooker le site : crânes disposés en calvaire, crânes en cœur, crânes en colonnes et en arcades, piliers peints en noirs et blancs, poèmes tristes accrochés un peu partout. L’endroit est désormais baptisé catacombes par analogie avec le site romain.
Ne manquent plus que les touristes. Ceux-là vont débouler au début du XXe siècle. Le site est d’abord ouvert deux jours par an, puis deux par mois, aujourd’hui le petit tronçon de catacombes visitable accueille ses 200 000 visiteurs annuels.
À défaut d’être spectaculaires, les os sont loquaces grâce à des pancartes. Quelques centaines de mètres de carrière précèdent l’arrivée dans l’ossuaire annoncé par la célèbre inscription : « Arrête ! C’est ici l’empire de la mort ». L’empire du verbe aurait été plus juste. Les murs d’os portent des écriteaux indiquant leur cimetière d’origine et la date du transfert, des écriteaux commémoratifs et des envolées poétiques plus ou moins dignes d’être connues… ô mort… ô vie… ô peu de choses que sommes-nous… ô ténèbres éternelles… ô fleuve de la vie… ô vanité des vanités… ô qu’il est long ce tunnel…
Pour les hypoglycémiques, prévoir un sucre après la remontée de l’escalier.
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Quand il n’y a plus de Place en Enfer…, Melmothia 2006
En lisant je me suis dit que pour plus de prophylaxie ,i l aurait mieux valu incinérer tous ces cadavres, mais bon pour le business que c’est devenu, ç’aurait été un manque à gagner et puis on n’aurait pas eu droit à cet article très intéressant sur ce fait historique.;-)