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Falcifer – Seigneur des Ténèbres
(Deofel Quartet, Volume I) Anton Long
Order of Nine Angles
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Première publication : 1976 e.n.
Version corrigée (v.1.01) 119 année de Fayen
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CHAPITRE XV
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Conrad, ainsi qu’Aris l’avait suggéré, lisait dans la bibliothèque lorsque vînt le crépuscule. Le manuscrit qu’Aris lui avait laissé était intéressant et traitait des dieux sombres, mais plus il lisait, plus il se sentait frustré.
L’œuvre était pleine de signes, de symboles et de mots — et pourtant, elle lui semblait inconsistante, comme si l’auteur ou les auteurs n’avaient entrevu, au mieux, qu’une partie de la réalité. Sa mémoire du rituel récent était encore vive et, parcourant le manuscrit, il comprit ce qu’il manquait. L’œuvre était dépourvue des étoiles — cette beauté obsédante que lui-même avait goûtée ; la beauté numineuse qu’il sentait l’attendre. Il voulait tendre encore et encore la main pour capturer cette beauté, cette essence étrange, cette nébulosité. Il s’était senti libre, à la dérive dans l’espace et dans d’autres dimensions ; libre et puissant comme un dieu — libéré de son corps pesant qui le liait à la Terre.
« Ça te plaît ? » demanda soudain une voix. C’était Susan qui venait vers lui.
« Pas vraiment ».
Elle portait le parfum exotique de Tanith et des vêtements fins, moulés aux contours de son corps. À cet instant — empli comme il l’était de souvenirs et de promesses de sensualité —, il se rappela le bonheur qu’un corps pourrait apporter.
Elle se tenait devant les fenêtres, regardant le ciel assombri. « Allons-nous sortir ? », suggéra-t-elle, « pour regarder les étoiles ? »
« Tu as encore lu dans mes pensées ? », demanda-t-il en plaisantant à moitié.
Il se leva pour aller près d’elle et fut heureux qu’elle enlace sa taille de ses bras, avant d’ouvrir les fenêtres.
« Je vais prendre un manteau », dit-elle et elle l’embrassa : « Je te rejoins dehors ».
L’air était froid, mais Conrad ne s’en préoccupait pas, alors qu’il marchait dans la neige. Les étoiles étaient de plus en plus claires, et il s’éloigna des lumières de la maison pour les regarder briller, immobiles dans l’air froid de l’hiver.
Ils furent rapidement sur lui — trois hommes qui l’attendaient dans l’ombre. L’un avait une arme à feu. Il la pointa sur Conrad, tandis que les autres saisissaient ses bras.
« Tiens-toi tranquille », dit l’homme qui tenait l’arme « ou tu es mort ».
Conrad se débattit et parvint à faire tomber l’un des hommes en le frappant. Il essaya d’atteindre l’autre au visage, mais reçut un coup sur la nuque et tomba inconscient dans la neige.
« Prenez-le », dit l’homme au revolver.
Il se réveilla comme on l’emportait dans une voiture, mais ses mains étaient attachées et il fut jeté sur la banquette arrière.
« Bâtards ! », cria-t-il en donnant des coups de pieds contre la porte.
Un couteau se posa sur sa gorge : « calme-toi, idiot », dit l’homme : « ou je vais faire un joli gâchis de ton visage ! ».
À quelques kilomètres de là, Sanders attendait, assis dans sa propre voiture. Personne n’avait suivi les hommes qui avaient traîné Conrad inconscient vers le véhicule et il soupira avec soulagement. Il suivit la voiture qui emportait Conrad et ils furent bientôt loin de la demeure.
Ainsi qu’il avait été requis, Conrad avait les yeux bandés et se tenait entre deux hommes, qui attendaient devant la maison de Baynes. Celui-ci, les ayant vus par la fenêtre, sortit à leur rencontre.
« Comme promis », dit Sanders.
« Excellent ! » répondit Baynes. Il donna une mallette à Sanders qui l’ouvrit, puis poussa Conrad vers lui.
« Il est tout à vous ».
Baynes conduisit le jeune homme dans la maison. Une fois dans le salon, il verrouilla la porte avant de lui ôter son bandeau et ses liens. Il a fallu seulement quelques instants à Conrad pour se faire à son nouvel environnement.
« S’il vous plaît », dit Togbare en montrant une chaise près du feu, « asseyez-vous. »
Conrad l’ignora. Au lieu de cela, il se tourna vers Baynes qui se tenait près de la porte.
« On recourt à la violence armée à présent, à ce que je vois », plaisanta-t-il.
« Une nécessité regrettable ».
« C’est très satanique de votre part », dit Conrad en souriant. « Eh bien, grand Mage, se moqua-t-il en avisant Togbare, quel est votre plan ? »
« Vous resterez ici — durant une courte période. »
« Je suppose que vous êtes assez bêtes pour croire qu’ils vont échanger Neil contre moi ? »
Togbare regarda Baynes. Conrad se mit à rire : « Vous n’êtes pas à la hauteur », dit-il, « vous ne pourrez pas me retenir. Dès qu’ils sauront où je suis, ils viendront. Êtes-vous prêt pour la violence dont ils feront usage ? »
« Qu’est-ce qui vous fait penser, demanda Baynes, que vous êtes si important pour eux ? Vous êtes juste un Initié parmi d’autres. Ils ont beaucoup plus. Vous serez facile à remplacer ».
« Vraiment ? », Conrad se mit à rire, mais les paroles de Baynes le mirent mal à l’aise. « Nous avons pris certaines précautions », dit Togbare.
« Ah oui ? », Conrad continua de rire. « Vous avez dessiné un cercle magique trois fois autour de la maison — et me voilà tremblant et décontenancé en son centre ! Sint mihi dei Acherontis propitii ! »
« Bien bien… », dit Baynes, « aussi comédien que savant ! ».
Conrad se précipita subitement sur Baynes, avec l’intention de le frapper au visage, mais l’autre était rapide et esquiva facilement le coup. Il riposta aussi vite, neutralisant Conrad d’une prise qui le déséquilibra, puis le jeta au sol.
Baynes s’inclina légèrement comme Conrad se relevait.
« Il a étudié à Taiwan », dit Togbare en guise d’explication.
« Eh bien, dit Conrad en haussant les épaules, tant pis pour cette idée. » Il regarda autour de lui. « Je suppose que je ferais mieux de me mettre à l’aise. »
« Une sage décision », dit Togbare.
« Ne voulez-vous pas, dit Baynes à Conrad, terminer vos études à l’université ? »
« Qu’est-ce que ça peut vous faire ? », Conrad regarda brièvement Baynes, puis la fenêtre — il s’était assis dans une chaise aussi proche que possible de la vitre.
« Je crois que vous avez un intérêt pour Spaceflight ? »
« Pas besoin de vous demander qui vous l’a dit. »
« M. Stanford, bien sûr. J’ai des contacts dans l’industrie aérospatiale aux États unis. »
« Tant mieux pour vous. »
« Je pourrais m’arranger pour que vous poursuiviez vos études dans une université américaine, en étant assuré de travailler ensuite dans l’une des sociétés leaders dans l’industrie aérospatiale. Cela serait bien entendu accompagné d’un certain capital, disons cinquante mille livres, pour vos frais annexes durant ces années ».
« Est-ce que vous essayez de me soudoyer ? », demanda Conrad étonné — et intéressé — par l’offre.
« Oui. », répondit Baynes sans hésitation.
« Et que voulez-vous en échange ? »
« Rien. »
« Rien ? » demanda Conrad incrédule.
« Sauf votre départ immédiat pour l’Amérique. Je prendrai, bien sûr, les dispositions nécessaires. »
« Je ne vous crois pas », dit Conrad, étonné.
« L’argent n’a aucun intérêt pour moi — en dehors, bien entendu, de ce que je peux faire avec. »
« Et le Maître ? », demanda Conrad. « Que fera-t-il si je le trahis en l’abandonnant ? »
« Comme je vous l’ai déjà dit, vous n’êtes qu’un simple Initié pour lui. Il peut facilement trouver quelqu’un pour prendre votre place. Mais si vous le souhaitez, je pourrais vous fournir une nouvelle identité. J’ai certains contacts qui peuvent arranger ces choses. Vous serez rapidement oublié. »
« C’est très tentant. Mais le Maître… »
« Tout ce que vous avez à faire, dit Baynes, c’est de rester ici avec nous, quelques jours. Vous verrez que personne ne viendra vous chercher et qu’ils n’ont aucun intérêt particulier pour vous. Vous saurez alors que ce que je dis est vrai. »
« Comment puis-je être sûr que ce n’est pas stratagème pour me faire rester ici ? »
« Vous avez ma parole. Si vous le souhaitez, vous pourrez être à mes côtés, lorsque je ferai les arrangements nécessaires. Je peux avoir l’argent d’ici quelques heures, le billet d’avion également. Pour votre passeport et une nouvelle identité, ça prendra un peu plus longtemps… Une journée, peut-être. Je pense que vous pourrez vous entretenir avec les personnes de l’université américaine. »
« Quand dois-je me décider ? »
« Le plus tôt vous vous décidez, plus vite que je pourrai prendre des dispositions. »
Durant plusieurs minutes, Conrad resta immobile à regarder le feu. Puis il se leva lentement de sa chaise et s’appliqua à bâiller et étirer ses membres.
« Puis espérer avoir un thé ? », demanda-t-il négligemment.
« Avez-vous pris une décision ? », demanda Baynes.
« Oui. »
Après quelques respirations profondes, il saisit le dos de la chaise, la souleva rapidement et s’en servit pour casser le carreau de la fenêtre. Une fois que la vitre eut explosé, il jeta la chaise dans la direction de Baynes, avant de plonger à travers le verre brisé. Il atterrit maladroitement dans la neige, ses mains coupées et ensanglantées. Quelque chose de chaud coulait dans son cou, et il dut extraire un éclat de verre de son bras avant de courir dans l’allée pour s’éloigner de la maison. Il pouvait entendre Baynes crier derrière lui, mais ne regarda pas en arrière, s’efforçant de gagner la rue aussi rapidement qu’il le pouvait. Il courut sans s’arrêter, dépassa des maisons, des rues, des trottoirs, des accotements et encore des rues, reprenant son souffle une seule fois aux abords d’une route principale. À présent il était loin, dans des ruelles sombres, au-delà des lumières de la ville.
Il se cacha derrière un arbre, pris de nausées et de tremblements, et il lui fallut du temps avant que sa respiration ne revienne à la normale. Ses mains, son cou et son visage étaient couverts de sang, mais celui-ci avait séché ou était en train de sécher, et il enleva sa veste pour déchirer une partie de sa chemise afin de confectionner un bandage pour son bras. Bientôt, le tissu fut trempé, et il resta immobile, sa main appuyée sur sa blessure bandée pour tenter d’arrêter le saignement. Ses mains et son visage devinrent douloureux. Il se sentait très fatigué.
Personne ne l’avait suivi dans la ruelle sombre et étroite. Il rêva qu’il était dans le Temple satanique. Neil était sur l’autel, attaché par des lanières, et Tanith se penchait sur lui, un couteau à la main.
« C’est à toi de le faire », dit-elle à Conrad.
« À toi de le faire » répétèrent Aris et Susan qui se tenaient à ses côtés.
« Nous avons besoin de son sang », reprirent tous les trois.
Tanith lui donna le couteau et il alla vers Neil.
« S’il te plaît », plaida son ancien ami, « Épargne-moi ! Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir ! »
« Nous avons besoin de son sang », résonnait comme un chant derrière lui. « Son sang pour compléter ton initiation. Nous devons avoir son sang ! »
Conrad hésita.
« Tue-le ! Tue-le ! Tue-le ! », insistaient les voix.
Il leva le couteau pour frapper, mais n’en trouva pas la force et, comme il renonçait, la silhouette sur l’autel ne fut plus Neil, mais lui-même. Alors Aris, Tanith, Susan et son double sur l’autel se moquèrent de lui :
« Vois comment tu es sur le point d’échouer ! », dit Aris et il l’embrassa sur les lèvres. Conrad tenta de se dégager, mais c’était Susan qui l’embrassait à présent, jusqu’à ce qu’elle-même se transforme — en Tanith.
Il se réveilla soudain. Il était couché sur la neige froide souillée de son sang. Un tel gâchis, pensa-t-il de mourir ici, froid et seul. Il essaya de s’asseoir contre l’arbre, mais la force lui manqua. Puis il sourit : « Je le referai, si c’était à refaire » murmura-t-il à l’arbre, à la neige, aux étoiles. « Susan », dit-il pour lui-même comme ses paupières se fermaient, « je t’aime ».
La dernière chose qu’il entendit fut le cri d’une chouette.
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CHAPITRE XVI
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Denise était assise au milieu d’un tas de coussins aux couleurs aussi vives que ses vêtements ; deux bougies vertes posées dans de grands chandeliers décorés se trouvaient à côté d’elle. Aucune autre lumière n’éclairait la maison calme, dont le silence était seulement troublé par le grondement du trafic sur la route principale à moins de cinquante kilomètres de là. Elle scrutait, les yeux mi-clos, sa boule de cristal et son amie Miranda — Grande Prêtresse du Cercle d’Arcadia — attendait, assise à côté, qu’elle décrive ses visions.
« Je l’ai trouvé », dit Denise comme en transe. « Il souffre. Et il va mourir. »
Lentement, elle plaça un tissu noir sur son cristal. « Viens », dit-elle à son amie, « je vais avoir besoin de ton aide. »
Elle conduisit avec efficacité, et il ne fallut pas longtemps pour que le véhicule s’éloigne de la ville et rejoigne la ruelle étroite et sombre qu’elle avait aperçue dans sa vision.
« Là, près de l’arbre », dit-elle.
Conrad était inconscient. « Nous devons nous dépêcher », dit Denise en se penchant sur lui. « D’autres — les méchants — seront bientôt ici, je sens qu’ils ne sont pas loin. »
Ensemble, elles soulevèrent et transportèrent Conrad dans la voiture.
« Tu conduis », commanda Denise. « Je dois commencer immédiatement. »
Ses mains étaient chaudes ; elle les posa doucement sur le visage froid et presque sans vie de Conrad, avant de les écarter de quelques centimètres afin d’effectuer des passes sur ses bras, ses mains et le reste de son corps. Elle imaginait l’énergie coulant en elle depuis la Terre à travers ses doigts et son aura jusqu’aux méridiens vitaux du blessé et ne s’arrêta que lorsque l’énergie eut atteint sa destination.
La demeure était confortable et chaude. Elles placèrent Conrad sur les coussins entre les bougies.
« Est-ce que ça va aller ? », demanda Miranda anxieuse.
« Je ne sais pas – pas encore. »
« Dois-je le dire à M. Baynes ? »
Denise tourna vers elle ses yeux brûlants : « Non ! »
« Mais je pensais… »
« Personne ne doit savoir ! » Et elle ajouta, d’une voix plus douce : « En tout cas, pas encore. »
Elle embrassa Miranda, en disant : « Fais-moi confiance, mon amour. » Puis elle se mit à califourchon sur Conrad pour reprendre son soin.
« Puis-je faire quelque chose ? », demanda Miranda.
« Tu serais adorable de me faire un thé. » Denise ne se retourna pas ni ne leva les yeux.
La théière était froide lorsqu’elle se redressa, fatiguée de ses efforts et elle alla dans la cuisine pour garder ses mains sous le robinet d’eau froide, afin de renvoyer à la terre les énergies, puis elle revint boire plusieurs tasses de l’infusion refroidie.
« Tu veux que je reste ? », demanda Miranda en espérant une réponse affirmative.
« Non — tout ira bien. Je t’appellerai s’il y a quelque chose. »
« Eh bien, si tu en es certaine… »
« Oui. Et… », dit Denise, en l’embrassant, « s’il te plaît, pas un mot — à personne, d’accord ? »
Elles s’embrassèrent brièvement, puis Miranda s’en alla. Denise qui était restée assise à côté de Conrad, caressa doucement son visage. Lentement, il ouvrit les yeux.
« De retour parmi nous ? », dit-elle et elle sourit.
« Comment… ? », dit Conrad, confus.
« Vous avez eu un petit accident. Et avant tout, sachez que vous êtes dans ma maison. »
Conrad se redressa : « Et vous êtes ? »
« Disons simplement quelqu’un qui aime secourir la veuve et l’orphelin ! »
Conrad regarda autour de lui. Il vit le cristal avec son enveloppe noire destinée à refermer les séances, le porte-encens sur la cheminée. Il n’y avait pas d’autres meubles hormis les nombreux coussins de différentes tailles éparpillés sur le tapis et les longues, lourdes, tentures couvrant la fenêtre ; pas d’autres lumières que celle des bougies.
« De quel côté êtes-vous ? », demanda-t-il prudemment.
« Pourquoi faudrait-il être d’un côté ? », répondit-elle avec un sourire.
« Vous savez qui je suis ? »
« Oui. Comment vous sentez-vous ? »
« Très bien. J’ai dû perdre connaissance ».
Il trouvait la femme étrangement attirante, bien que ses traits ne fussent pas beaux dans le sens conventionnel. Mais il écarta cette pensée, se souvenant de Susan.
« Je dois vraiment y aller », dit-il et il tenta de se lever.
Il retomba dans les coussins.
« Reposez-vous », dit Denise.
« Je dois téléphoner à quelqu’un » dit-il, en s’allongeant et en fermant les yeux pour essayer d’arrêter le vertige qu’il ressentait.
« Dans un moment. Mais d’abord vous devez vous reposer. »
Elle le laissa seul un court laps de temps, puis fut de retour avec un bol en argent, des tissus, des fioles de lotions et une tasse contenant une infusion chaude, le tout posé sur un plateau d’argent.
« Voilà », dit-elle, « buvez cela. »
Il se redressa et renifla le contenu de la tasse. L’odeur était horrible.
« Qu’est-ce que c’est ? »
« Juste une infusion — des herbes et des choses ». Je le tiens de ma mère. « Cela va vous redonner un peu de force. »
Prudemment, Conrad sirota la boisson. Elle ôta le bandage qu’il avait confectionné pour couvrir sa blessure au bras et commença à nettoyer la zone à l’aide du liquide contenu dans le bol. Quand elle eut fini, elle lui fit un bandage propre à l’aide d’un tissu richement imprégné de lotion. Bientôt, elle eut lavé, nettoyé et recouvert toutes ses blessures avec ses lotions.
« Ça avait meilleur goût », dit Conrad après avoir terminé son infusion, « que l’odeur ne le laissait penser ».
Sa proximité, la douceur de ses mains et l’odeur de son corps combinés l’excitèrent sexuellement. Il prit sa main avant de se pencher pour l’embrasser.
Elle recula : « Je suis désolée de vous décevoir — mais cela ne fait pas partie de mes inclinations »
« J’espère ne pas vous avoir offensée », dit-il sincèrement.
Elle se mit à rire en ramassant ses fioles : « Pour un sataniste présumé, vous êtes plutôt innocent. Votre aura vous signale comme étant différent d’eux. »
« Ah oui ? », Conrad était intrigué.
« Quel est votre objectif dans tout cela ? », demanda-t-elle. « Qu’est-ce que vous espérez trouver ? »
Il sentait ses forces revenir à chaque nouvelle respiration. Même la douleur dans son bras avait commencé à se calmer.
« La connaissance », dit-il.
Denise s’assit à côté de lui. Il pouvait sentir un calme en elle. Il se sentait bien, juste d’être près d’elle, comme si d’une certaine façon, elle lui donnait l’énergie. Au début, il avait pensé qu’elle lui portait un intérêt sexuel, mais plus il la regardait et plus il comprenait que ce n’était pas ça. C’était juste de l’énergie bienfaisante qui coulait d’elle. Il ne savait pas pourquoi — et ne s’en préoccupait pas — il se sentait simplement détendu et à l’aise près d’elle.
« Qu’est-ce que vous espérez y trouver ? » demanda-t-elle de nouveau, en souriant, ses yeux radieux, « Pourquoi est-ce que vous les avez rejoints ? »
« Je voulais savoir. »
Ce n’était que partiellement vrai, il se souvint. Ce qu’il avait surtout désiré, c’était faire l’expérience de la passion sexuelle.
« C’est tout ? »
Il sentit qu’elle connaissait déjà la réponse.
« Eh bien, le sexe aussi. »
« Et maintenant, alors ? »
« Que voulez-vous dire ? », demanda-t-il, perplexe.
« Pensez-y — d’ici quelques années, si vous continuez sur ce chemin, vous aurez eu beaucoup de femmes et appris beaucoup de vérités occultes. Peut-être aurez-vous acquis une certaine habileté en magie. Mais la vie est — pour la plupart des gens — plutôt longue — plusieurs décennies. Que ferez-vous de tout ce temps lorsque ces plaisirs toujours identiques auront lassé votre intelligence ? »
« Il y aura d’autres objectifs, j’en suis sûr. D’autres choses à réaliser. »
« Peut-être. Votre jeunesse s’en ira et, avec elle, votre entrain, remplacé par la fatigue du corps et de l’esprit. »
« Et puis ? C’est le présent qui est important. Pourquoi me soucier de ce qui pourrait ne jamais être ? »
« Et si je vous disais que nous pouvons vous offrir une chance d’acquérir l’immortalité, que diriez-vous ? »
« Je ne crois pas que cette chance existe. C’est de la superstition. Quand nous mourons, nous mourons, c’est tout. »
« Vous pensez que le satanisme ne tourne qu’autour de ça ? – le plaisir de l’instant présent ? »
« Oui. » Puis, avec moins de certitude dans la voix, il ajouta : « Eh bien, du moins c’est ce que je pense. »
« Aucune croyance en quelque chose au-delà ? »
« Pas autant que je sache. » Il sourit : « Mais comme vous le savez, je ne suis qu’un jeune initié. »
« Voulez-vous tuer votre ami Neil ? », demanda-t-elle soudain.
« Pardon ? »
« Neil Stanford. Pourriez-vous le tuer si votre Maître l’exigeait ? »
« Que savez-vous à propos de Neil ? »
« Il est venu me voir une fois pour une voyance. Mais vous ne répondez pas à ma question : souhaitez-vous — pourriez-vous — le tuer, ou tuer quelqu’un ? »
Conrad se souvint de son rêve. Mais il y avait en lui un désir de nier cette partie de lui-même qui ne voulait pas tuer. Durant quelques instants, il se sentit obligé de se vanter, de répondre à la question par l’affirmative — de se montrer impitoyable et sans peur. Mais elle était assise près de lui, calme et souriante, et il lui semblait que ses yeux lisaient dans ses pensées. Elle savait qu’il était seulement orgueilleux, plein de l’arrogance fébrile de la naïveté.
« Je ne sais pas », répondit-il honnêtement.
« Voyez » dit-elle avec un léger ton mordant, « pour vous, tout cela, le satanisme, est à l’heure actuelle un jeu. Un jeu des plus agréables, mais assurément un jeu. Votre aura raconte une histoire différente. Ils sont sérieux… Ils tuent, sans pitié. Ils corrompent. Êtes-vous prêt pour cela ? »
« Vous êtes médisante », dit-il, en pensant à Susan et au bonheur qu’il avait partagé avec Tanith. « Ils ne sont pas comme ça ».
« Vous ne comprenez pas ce qui vous arrive. Bien sûr, aujourd’hui tout est plaisir — tout est passion et plaisir. Vous êtes séduit, attiré dans leur toile. Mais bientôt la perversité commencera. Elle fera son chemin… D’abord quelque chose de légèrement moralement dégradant. Mais bientôt vous serez tellement impliqué il n’y aura plus d’échappatoire. »
« Non, je ne le crois pas. Vous êtes juste en train d’essayer de me retourner contre eux, n’est-ce pas ? »
« Vraiment ? », elle sourit : « J’ai quelque chose à vous montrer. »
Elle alla chercher sa sphère de cristal et la posa entre eux. Elle ôta précautionneusement le drap noir avant de faire des passes au-dessus avec ses mains.
« Regardez » lui dit-elle, « et voyez ! »
Conrad regarda dans la sphère. Au début, il ne vit rien, sauf le reflet des lumières des bougies, puis une noirceur apparut dans la zone claire. Il vit le Temple dans la maison d’Aris. Susan était là, nue sur l’autel, et autour d’elle la congrégation dansait. Puis un homme alla vers elle, caressant son corps avant d’enlever son tabard, de le poser et d’aller vers elle. Puis la scène changea. Aris était avec plusieurs autres personnes dont Conrad ne pouvait pas voir les visages. Ils étaient dans ce qui ressemblait à une lande, et sur le sol gisait une jeune femme, nue et attachée. Elle se débattait, mais Aris riait — Conrad ne pouvait pas entendre le rire, seulement la bouche ouverte du Maître et qu’il se balançait d’un côté à l’autre. Ensuite, il eut un couteau dans la main et se pencha pour fendre calmement et efficacement la gorge de la femme. Conrad se détourna.
« Il y a plus. », déclara Denise,
« Et alors ? », dit Conrad, affectant l’indifférence. « Chaque guerre a ses victimes. Quoi qu’il en soit, ce que j’ai vu n’était pas réel. »
« Ça l’était. La femme que vous avez vu être assassinée s’appelait Maria Torrens. Je peux vous montrer les articles de journaux si vous le souhaitez. »
« À chaque époque, il y a des victimes et des maîtres. Le périssent faibles et les forts survivent. »
« Vous croyez vraiment cela ? », demanda-t-elle.
« Et si c’est le cas ? », Conrad était sur la défensive. « Allez-vous essayer de me convertir ? »
« Vous devez prendre vos propres décisions — et assumer les conséquences qui résultent de vos actions, à la fois dans cette vie et dans la prochaine. »
« La croyance en l’au-delà, dit Conrad dédaigneusement, est simplement du chantage pour nous empêcher de nous accomplir — d’atteindre l’excellence — dans cette vie. »
« Vous semblez prêt à continuer sur le chemin sombre. Vous avez choisi — malgré ce que je ressens de vos sentiments intérieurs. »
« J’ai fait mon choix. »
« Je sais », dit-elle doucement.
« Dites-moi, alors, pourquoi m’avez-vous aidé ? »
Denise sourit, et son sourire décontenança Conrad : « Je n’ai pas le droit de juger. Simplement d’aider ceux qui en ont besoin. »
« Mais tout de même… »
« Vous devriez vous reposer maintenant. » Elle recouvrit le cristal avec le tissu noir.
Conrad se sentit soudain fatigué. Il se coucha entre les coussins moelleux et, dans cette pièce chaleureuse à la douce lumière des bougies, il s’endormit rapidement. Son sommeil fut sans rêve et lorsqu’il se réveilla, il fut surpris de trouver Susan assise à côté de lui.