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Falcifer – Seigneur des Ténèbres
(Deofel Quartet, Volume I) Anton Long
Order of Nine Angles
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Première publication : 1976 e.n.
Version corrigée (v.1.01) 119 année de Fayen
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CHAPITRE XIII
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Togbare resta dans la maison de Fitten durant plusieurs heures. Dans un premier temps, après le départ de Conrad et Susan avec Neil, il s’était assis au bureau et avait médité, récupérant progressivement, par le contrôle de la respiration et des mantras, son pouvoir perdu lors du combat astral. Il avait ensuite étudié les manuscrits, les notes et les livres de Fitten. Il était presque midi lorsqu’il se leva. Dans sa concentration, il n’avait pas prêté attention au froid de la pièce et frissonna, un peu en se dirigeant vers la porte. Dehors, le soleil réchauffait l’air et il parcourut à pied, lentement, d’un pas régulier, comme le vieil homme qu’il était, les kilomètres qui le séparaient de la maison de Baynes, heureux de l’exercice et de ressentir la fraîcheur de la neige dans l’air hivernal.
Baynes se trouvait dans son bureau spacieux, lorsque Togbare arriva. La pièce était chaude, et Togbare resta assis devant le poêle pour raconter les événements qui avaient entraîné la capture de Neil. Baynes était clairement bouleversé :
« Je suis sûr, dit Baynes, qu’ils vont le sacrifier. Il les a trahis — il a rompu le serment de son Initiation. Ces nouvelles sont perturbantes, je pense vraiment que nous ne pouvons pas attendre plus longtemps, le temps est venu pour nous d’agir — rapidement et d’une façon déterminante ».
« Vous avez quelque chose à suggérer ? »
« Oui. Ce Conrad Robury est important pour eux — ou du moins, il semble l’être. Je suggère que nous l’attirions loin de leur maison et que nous le retenions ici quelques jours, si nécessaire. Nous pourrions alors prendre des dispositions pour l’échanger contre M. Stanford ».
La surprise de Togbare se peint sur son visage : « Ce serait mal ».
« Pour sauver la vie de M. Stanford ? C’est la seule façon, car je ne crois pas que nous pouvons réussir par la magie seule. Pas maintenant ».
Durant longtemps Togbare resta silencieux, le regard perdu dans le foyer du poêle.
« Vous avez raison », dit-il finalement, et il soupira : « Je n’aime pas cette idée, mais elle pourrait être notre seul espoir. La situation est désespérée ».
« Puis-je, dit Baynes, suggérer que nous — vous et moi — entreprenions un rite simple, avec l’intention d’inciter Robury à sortir de la maison et je pourrais alors prendre des dispositions afin que certaines personnes l’attendent dehors — il ne sera pas blessé, bien sûr ».
« Vous pourriez organiser tout cela ? »
« Oui. Ça ne devrait pas prendre longtemps — quelques heures au plus ».
Il se tourna vers Togbare et sourit : « La richesse a ses avantages — parfois ! »
« Ces braves gens qui étaient avec nous, hier ? … »
« Oui ? »
« Si vous pouviez vous arranger pour que certains viennent, vous ne seriez pas bloqué ici. De notre côté, nous pourrions réaliser le rituel que vous avez suggéré. »
« Magnifique ! Je vais tous les contacter. Je leur ai dit ce matin de se tenir prêts, que nous pourrions avoir besoin d’eux rapidement ».
« Vous leur avez parlé ce matin ? », Togbare était étonné.
« Eh bien, quand je suis revenu ici, je ne pouvais pas dormir. J’ai pensé que je ferais quelque chose d’utile. Ils ont tous senti que le rituel déjà accompli s’était bien passé ».
« Ça nous a fait gagner un peu de temps, je pense. Un tout petit peu de temps. Ce M. Robury — je me suis rendu compte que ses pouvoirs occultes dépendaient d’une certaine jeune femme. Elle était avec lui, ce matin. C’est la même femme, j’en suis absolument sûr, qui était également avec lui dans la demeure de M. Fitten lorsque cette malheureuse dame, son épouse, est passée de l’autre côté. Par conséquent, isolé et avec nous, il devrait être démuni… Oui, songea-t-il à voix haute, plus j’y pense — à votre plan — et plus je suis enclin à me dire qu’il réussira ».
« Alors, dit Baynes, je vais aller prendre les dispositions nécessaires ».
Baynes contempla, depuis la fenêtre de son bureau, l’agitation de la rue en contrebas. Il aimait son bureau spartiate au dernier étage de l’un des plus hauts bâtiments du centre-ville, autant pour la vue splendide que pour son calme relatif, alors qu’il trônait sur son empire commercial, contrôlant tout depuis ce quartier général.
Son téléphone de bureau bourdonna : « Oui ? », demanda-t-il.
« Un certain M. Sanders pour vous, monsieur ».
« Excellent ! Envoyez-le ! » Il s’assit dans son fauteuil en cuir derrière son bureau aux lignes épurées.
« M. Sanders », annonça son secrétaire.
« S’il vous plaît, dit-il en montrant une chaise, asseyez-vous ».
« Je préfère rester debout », dit Sanders. Il était vêtu de noir, comme à son habitude. « Vous voulez me voir ? », demanda-t-il avec méfiance.
« J’ai une proposition à vous faire — une proposition d’affaires ».
« C’est ce que votre serviteur m’a dit au “téléphone” ».
« Vous dirigez ce que certains pourraient décrire comme temple de “Magie Noire”, n’est-ce pas ? »
Sanders s’était assis dans le fauteuil : « Arrêtons ces conneries. Je vous connais, Baynes, et vous me connaissez ».
« J’aurais besoin d’une faveur — contre une importante somme d’argent ».
Méfiant, Sanders regarda autour de lui : « Êtes-vous en train d’enregistrer notre conversation ? »
« Bien sûr que non ! »
« Alors, quelle est votre proposition ? – Et combien ? »
« Cinquante mille livres ».
Sanders dissimula sa surprise : « Pour faire quoi ? »
« Il n’y pas très longtemps, un jeune homme — un étudiant — est venu vous rendre visite, vous l’avez présenté, je crois, à un certain groupe. Eh bien, je voudrais que ce monsieur soit conduit jusqu’à ma demeure, en utilisant la force le moins possible, bien sûr ».
Sanders se leva : « Je ne peux pas dire que ce fut un plaisir de vous rencontrer. Au revoir ».
« Vous avez certaines activités très lucratives, il me semble ».
Sanders était presque à la porte, lorsque Baynes ajouta : « Je suis sûr que la police serait très intéressée par vos — comment dois-je appeler ça ? – vos importations. Un certain Osterman est votre contact à Hambourg, je crois ».
Sanders s’arrêta : « Vous bluffez ».
« Je vous assure que non. Votre dernière livraison est arrivée mardi dernier, avec une valeur estimée — je crois que le terme approprié est “dans la rue” —, à deux millions de livres, au moins. Bien sûr, si mes chiffres sont exacts, votre profit est un peu plus réduit. Beaucoup plus réduit, en fait. Beaucoup de frais généraux ».
Sanders se dirigea vers le bureau. Il se rassit, et sourit : « Vous êtes très bien informé ».
« Bien sûr, dit Baynes, nous savons tous deux qui prend la majeure partie du profit. Vous connaissez bien, je crois, la maison où ce M. Robury réside actuellement ».
Sanders haussa les épaules : « Peut-être ».
« À la tombée de la nuit, il sera dans le jardin. Vous devrez me l’amener. À cette adresse ».
Il donna à Sanders une carte imprimée.
« Et l’argent ? »
Baynes ouvrit un tiroir de son bureau. Il en sortit plusieurs piles de billets de dix livres : « Une petite avance. Le reste vous attendra à votre arrivée à la maison ».
« Et s’il n’est pas là où vous pensez ? »
« Il le sera. Mais si quelque circonstance imprévue se produisait et qu’il n’est pas là, appelez-moi et j’organiserai une autre opportunité ».
Sanders ramassa l’argent et le fourra dans ses poches.
« Et, ajouta Baynes comme Sanders se levait pour partir : si vous vous inquiétez de ce que votre “maître” pourrait découvrir notre petit arrangement, je suis sûr que vous avez assez d’expérience pour trouver une porte de sortie et ne pas être impliqué ».
Sanders était déjà en train de réfléchir à la question : « Vous avez raté votre vocation ! » Il sourit en se dirigeant vers la porte.
Baynes attendit que Sanders soit parti avant de décrocher le téléphone. « Bonjour ?… » Il attendit que son interlocuteur ait répondu « Frater Togbare ? » Puis il y eut un « Oui ? » proféré d’un ton calme, mais où pointait de l’anxiété.
« Baynes ici ! », dit-il joyeusement, heureux de son succès avec Sanders, « tout s’est bien passé. Tout a été organisé comme prévu ».
Comme Togbare ne répondait pas, Baynes demanda : « Tout se passe bien pour vous ? »
« Heu, non, pas vraiment, vous feriez mieux de venir ici — je vous expliquerai ».
« Je serai là aussi vite que possible ! »
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CHAPITRE XIV
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Togbare n’avait pas mis longtemps à tomber endormi. Il s’était assis près du feu, tandis que Baynes partait pour son bureau, s’interrogeant sur les événements des derniers jours et ceux à venir. Épuisé, il s’assoupit profondément, à la chaleur de l’âtre.
La sonnette le réveilla et il traversa la pièce lentement pour répondre à son appel, appuyé sur son bâton, s’attendant à voir quelques-uns des invités de la veille. L’horloge de l’armoire dans le couloir de la maison lui indiqua qu’il avait dormi près d’une heure.
Il ne reconnut pas la femme qui attendait à l’extérieur, mais sa voiture de luxe et le chauffeur qui l’attendait ne le surprirent pas, car il connaissait la richesse de Baynes.
« Est-ce qu’Oswald est ici ? », demanda Tanith, vêtue d’une façon séduisante et souriante.
« Oswald ? », répéta Togbare, détournant les yeux de ses seins, largement dévoilés par sa robe.
« M. Baynes. Est-il à la maison ? »
« Euh, non. Pas pour le moment. Puis-je vous aider ? »
« Je suis venu pour votre petit rituel — ou ce que vous avez planifié ».
« Pardonnez-moi ? », pour une raison inconnue, Togbare se sentait confus, ce qu’il attribua à son réveil brutal d’un sommeil aussi profond que nécessaire. « Puis-je entrer ? », demanda Tanith et elle marcha devant lui, veillant à ce que leurs corps se touchent. Elle entra dans l’étude, et se plaça près du feu.
« Ce cher Oswald, dit-elle, un homme tellement charmant, mais si effroyablement distrait par moments. Il a omis de vous dire que je devais venir, n’est-ce pas ? »
« Eh bien… »
« Asseyez-vous », dit-elle avec affabilité.
Togbare obéit.
« Une idée de ce que sera ce rituel ?, demanda-t-elle, debout près de lui, s’il ressemble au précédent auquel il m’a invité, nous allons bien nous amuser ! » Elle se mit à rire.
« Nous amuser ? », dit Togbare, troublé.
« Pourquoi pas ! Ne me dites pas qu’il ne vous a rien raconté ? Ma parole ! Voulez-vous un verre ? Pour nous mettre dans l’ambiance… Un verre ? »
Togbare se sentait nettement mal à l’aise. Elle alla droit à une bibliothèque et poussa un bouton dissimulé, puis attendit qu’un plateau tournant révèle des carafes et des verres.
« Whisky ? demanda-t-elle, vous m’avez l’air d’un homme qui boit du Whisky. Il a quelques excellents malts ».
« Je ne bois pas », dit Togbare de plus en plus oppressé.
« Quelle honte. J’ai un faible pour le Gin, personnellement ».
Elle se servit un verre et l’avala d’un trait : « Magnifique ! C’est encore meilleur l’estomac vide. Directement dans le sang ! ».
Elle se versa un deuxième verre avant de demander : « Dois-je tirer les stores ? »
« Pardon ? »
Elle pressa un autre bouton et les persiennes descendirent silencieusement.
Togbare se leva : « Vous semblez connaître cette maison plutôt bien ».
« En effet ! Tous ces moments de plaisir que j’ai connus ici ! Oswald donne des soirées merveilleuses ! ».
Elle se dirigea vers Togbare qui se tenait devant la lumière du feu : « Il fait chaud ici, n’est-ce pas ? » dit-elle, en commençant à enlever sa robe. Comme elle arrivait à la hauteur de l’homme, le vêtement était tombé autour de ses chevilles. Elle était nue et un Togbare incrédule la regarda.
« Votre esprit, dit-elle, est plus jeune que votre corps ».
Elle prit sa main et la posa sur sa poitrine. Togbare la retira vivement et courut presque jusqu’à la porte. Elle était verrouillée, mais il n’y avait pas de clé. Tanith se libéra de sa robe et se dirigea vers lui, en riant : « Vous apprécierez le plaisir que je vous offre », dit-elle.
Il comprit soudain : « Prostituée ! », cria-t-il, « le Maître vous a envoyée ! »
« Oui ».
Elle se rapprochait de lui et, pour Togbare, elle devint une malédiction satanique. Il leva son bâton, mais elle se moquait de lui.
« Tu es faible ! », ricana-t-elle, « regarde-moi ! Regarde mon corps ! »
Togbare se détourna, marmonnant des mots comme il l’avait déjà fait auparavant.
« Ton Dieu ne peut pas t’aider à présent ! », se moqua-t-elle.
Il se tourna vers elle et vit qu’elle commençait à changer de forme sous ses yeux.
« Mon Dieu ! », cria-t-il avec une véritable surprise, « vous êtes sa femme ! »
Elle lui offrit un rire apitoyé tout en faisant des gestes dans son dos avec ses mains. Sa robe disparut brièvement, avant de réapparaître sur son corps. Elle fit un nouveau geste, et les stores se relevèrent, emplissant la chambre de la lumière du jour.
« Vous ne pouvez pas me faire de mal », déclara Togbare, tenant son bâton devant lui pour se protéger.
« J’ai accompli ce que pour quoi j’étais venue ».
Il se plaça sur le côté pour la laisser partir. Les portes s’ouvrirent devant elle et elle sortit dans la lumière du soleil. Par la fenêtre, elle aperçut le mage à genoux sur le sol, occupé à prier.
« À la maison, Guedor ! » ordonna-t-elle en montant dans la voiture.
Togbare pria pendant près d’une heure, calme, mais abattu, et passa ensuite son temps à alimenter le feu dans la cheminée. Puis, il s’assit à côté, soupirant et secouant la tête, se levant seulement à deux reprises pour répondre à la sonnette. Chaque fois, il s’attendait plus ou moins au retour de la maîtresse satanique, mais c’était seulement un groupe d’invités de Baynes de la veille, convoqués pour le rituel. Il leur présenta des excuses et leur demanda d’attendre un nouvel appel. Il ne leur en expliqua pas la raison et personne ne posa de question. Il lui fallut beaucoup de temps pour chasser les traces de la présence de la femme de la maison et de la pièce.
Sa présence satanique lascive et sarcastique semblait avoir envahi chaque coin, et il jeta pentagramme après pentagramme, après hexagramme pour la supprimer. Il venait de terminer sa tâche lorsque le téléphone sonna.
« Je serai là aussi vite que possible ! » avait dit Baynes, et Togbare s’assit près du feu pour l’attendre. Il s’était presque endormi de nouveau lorsque Baynes rentra.
« Eh bien », dit Baynes après Togbare lui ait raconté la visite de Tanith, « peu importe. Nous pouvons faire le rituel nous-mêmes, comme je l’avais d’abord pensé. À condition bien sûr, il marqua une pause, que vous vous sentiez capable de continuer comme prévu. »
« Je crains que nous n’ayons pas le choix, dit-il tristement. Cela va nous fatiguer encore plus. J’espère juste que nous pourrons récupérer suffisamment. »
« Avant que les satanistes ne tentent d’ouvrir les portes, vous vous voulez dire ? »
« Oui. Pouvons-nous commencer ? »
Ils s’assirent ensemble près du feu dans les dernières heures du jour, en essayant par leurs pouvoirs de visualisation et par leur volonté d’attirer Conrad loin de la sécurité de la maison du maître, vers l’endroit où Sanders l’attendait — du moins, l’espéraient-ils. Après plusieurs minutes d’effort, Togbare sortit de l’une de ses poches l’un des petits carrés de parchemin qu’il portait toujours sur lui. Prenant sa plume, il commença par écrire le nom de Conrad, puis plusieurs sceaux par-dessus. Durant plusieurs minutes, il fixa le charme avant de le jeter dans les flammes afin qu’il s’y consume.
« Ainsi soit-il ! », dit-il comme le parchemin brûlait.
Dehors, dans le silence épaissi par la neige qui entourait la maison, un corbeau croassa.