Né le 24 octobre 1889 dans l’Aisne, Camille Clovis Trouille fréquente à partir de 1905 l’école des Beaux-Arts d’Amiens dont il ressort cinq ans plus tard pour devenir illustrateur et caricaturiste ; en 1920, après avoir vécu l’expérience traumatisante de la guerre, il s’installe à Paris, travaillant durant un temps dans le dessin publicitaire, puis dans une fabrique de mannequins comme maquilleur-retoucheur – métier qu’il exercera durant 35 ans.
Ses tableaux érotiques, colorés, et volontiers provocateurs, attirent l’attention des surréalistes qui cherchent à en faire l’un des leurs ; mais bien que signataire de certains de leurs tracts dans les années 50, Clovis Trouille gardera toujours ses distances avec le groupe. Anarchiste, libre penseur, anticlérical, antimilitariste, anticonformiste, pour aller plus vite « anti-tout », Clovis Trouille dira de son oeuvre : « Il est vrai que je n’ai jamais travaillé en vue d’obtenir un grand prix à une biennale de Venise quelconque, mais bien plutôt pour mériter dix ans de prison ».
Son indépendance et sa marginalité lui vaudront d’être oublié des critiques d’art comme du public. Auteur d’une centaine de toiles, sa seule exposition, en 1963 à Galerie Raymond Cordier, sera interdite « aux moins de 18 ans et aux plus de 70 ans ». Une brève gloire lui viendra de la création d’un autre : en 1969, il est contacté par Kenneth Tynan qui désire reprendre le titre de l’un de ses tableaux, Oh Calcutta ! (Attention jeu de mots !), pour une revue érotique d’avant-garde à Broadway. La toile de sera reproduit sur le rideau de la scène et l’artiste touchera de confortables royalties :
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Il y a quelques années, une exposition à Amiens a mis Clovis Trouille à la mode. Depuis lors, il est désormais possible de trouver, notamment sur le web, des informations sur ce peintre dont le poète Ghérassim Luca disait qu’il était : « celui qui a réussi à planter entre les cuisses du Douanier Rousseau une paire de couilles géantes ».
Après une existence plutôt tranquille pour un anarchiste obsédé par le sexe et par la mort, Clovis Trouille décède à Paris en 1975 à l’âge de 86 ans. L’histoire ne dit pas si des spectres de femmes nues dansent la nuit autour de son tombeau.
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Les passages ci-dessous sont extraits d’une lettre de Clovis Trouille à Mirabelle Dors et Maurice Rapin, mise en ligne sur le blog dédié à ce peintre : Clovis Trouille – La gloire est-elle posthume ?
« […] Je vous ai parlé hier de mon activité à Illustra photo où je faisais des montages photographiques pour gagner ma vie. J’étais dessinateur chez Draeger en 1914.
Vint la guerre 14-18. Je fus mobilisé le 2 Août 1914 et partit pour Sens, n’étant démobilisé qu’en 1919, ce qui fait que j’ai été 7 ans soldat. Nous étions la génération sacrifiée. Privé d’amour à cet âge.
Nous ne connaissions pas la vie et l’on nous envoyait à la mort. J’objectais à obéir à ces infâmes mots d’ordre. Je ne voulais pas mourir à la guerre. Je déclarais la guerre à la guerre. J’en sortis abruti pas les dangers courus, l’œil furieux, le cœur plein de rage et de haine pour ceux qui nous avaient ainsi sacrifiés et s’étaient enrichis à l’arrière, parmi la gradaille embusquée.
Vrai, j’ai trop souffert, à la guerre, de tout, pour ne pas être révolté au souvenir de mes plus belles années passées ainsi, et des néfastes conséquences qui en résultèrent pour moi.
Je repris du travail dans la publicité et me mariais de suite sottement, avec la première venue, propriété d’un commerce hostile. Elle me donna 2 filles en 2 années de mariage. Premier grief de la belle-mère avec qui nous cohabitions (grave erreur) et qui me voyait déjà remplir sa maison de gosses. J’ai dû divorcer ensuite (pêché de jeunesse) et j’ai perdu une fille à l’âge de 12 ans. Et je n’ai jamais pu me remettre de cet irréparable malheur. Cependant quand je revois ma fille, Alice, qui me reste, je me réconcilie avec la vie. C’est incroyable et merveilleux, pour moi. Séparé de mes enfants et revivant en chambre meublée, je n’ai pu recommencé à peindre que lorsque j’ai rencontré ma compagne actuelle en 1925, qui m’a affranchi de tous les soucis domestiques et avec laquelle j’ai pu m’affranchir des chambres meublées, où je n’avais aucune inspiration et me mettant enfin dans mes meubles à moi, me créer une ambiance propice au travail. C’est l’époque de ‘Remembrance’, ‘La Partouze’ Naguerre ou le 106 n’est pas consigné à la troupe. Art super réaliste, du fait de sujets subversifs rassemblés, créant une réalité plus vraie que le vrai. Plus intense que le vrai. Intensité du sujet. Nous verrons plus loin à y ajouter l’intensité coloristique. Ensuite je me suis trouvé mûr pour le dépaysement des motifs, m’apercevant de leur pouvoir de choc lorsqu’il étaient le plus arbitrairement employés […].
Sade conseillait de ridiculiser les religieux. Cela fait d’autant plus mon affaire que j’aime leurs costumes, surtout à la manière de ceux de Zurbaran. C’est pictural. Le curé qui se baigne avec son rabat qui ne rabat plus très bien parce qu’il a aperçu la lune dans l’eau et quelle lune ! Il relève la tête même les deux têtes et en aperçoit l’origine. Je pense vous avoir montré une lettre extraordinaire d’un admirateur anonyme sur cette toile. C’est le même thème que j’ai repris dans l’ancien ‘Lune à un mètre’ qui faisait trop Méliès et que j’appelle maintenant ‘Sous le charme’ où l’on voit un moine dans la plus grande extase, les yeux au ciel, contemplant , son froc turgescent, une superbe lune, infiniment plus intéressante que son bon dieu, qu’il n’a jamais vu.
[…] Les impressionnistes se sont trompés avec leur conception de la lumière. Il faut se méfier du blanc, la lumière est incolore. L’olympia de Manet n’a jamais fait bander personne. C’est ce qu’à bien compris Cèzanne quand il déclare : j’ai été content de moi le jour où je me suis aperçu que je ne pouvais pas peindre le soleil avec mes couleurs, que je ne pouvais que le représenter. L’expérience impressionnisme devait être faite, mais pour pouvoir être abandonnée. Il faut simplement se baser sur les possibilités que nous offrent les belles couleurs chimiques de la palette moderne et voir le parti que l’on peut en tirer par leur contraste ou par leur accord. Mais la conception de la lumière, alors que les couleurs changent, jaunissent, noircissent avec le temps. Quelle erreur !
D’autant qu’un kilo de jaune est plus jaune d’une demi-livre. Je me rends compte ici sur les plages que la femme prend tout son sex appeal en s’exhibant nue sur les plages, sous la grande lumière du soleil. Hier, une superbe fille s’exhibait devant moi, sur le sable, dans les positions les plus érotiques, ne laissant presque plus rien à deviner. Et je n’avais d’yeux que pour une religieuse en blanc qui se trouvait derrière cette fille, surveillant le bain d’un troupeau de gosses, c’est plutôt avec elle que j’avais envie de faire l’amour, elle qui m’incitait au divin viol.
Je suis pour l’art noir pour le caractère maudit. Je rejette la morale de la société bourgeoise, l’imposture de sa religion, la morale de ses curés, son patriocularisme, je désire au contraire une société sans frontières. Je rejette en bloc son art abstrait à la mode. Comment ne pas rejeter son nationalisme. Quand on voit l’art grec antique indépassable, de Vinci, ce sommet italien, Vermeer hollandais, ce qui ne nous empêche pas d’admirer Watteau et Corot bien de chez nous. D’autant plus que comme dit Lautréamont « et sachez que la poésie est partout, où ne se trouve pas le sourire, stupidement railleur, de l’homme à figure de canard ».
Chers amis hâtons de voir la beauté des oeuvres du passé, car hélas, nous ne verrons pas la beauté de demain, nous serons morts, chers amis.
Votre affectueux et sincère ami,
Clovis Trouille »
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Melmothia, 2009.