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Falcifer – Seigneur des Ténèbres
(Deofel Quartet, Volume I) Anton Long
Order of Nine Angles
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Première publication : 1976 e.n.
Version corrigée (v.1.01) 119 année de Fayen
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CHAPITRE III
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Conrad paressa un long moment dans son lit. L’aube se levait, mais il n’avait aucune envie de se dépêcher de sortir du lit pour s’activer, comme il en avait l’habitude depuis des années — dix kilomètres ou plus —, avant son petit déjeuner, quelle que soit la météo. La perspective de suivre des cours ne l’excitait pas davantage. Au lieu de cela, il se sentait alangui et rassasié. Tanith l’avait conduit à une chambre dans laquelle s’était exprimée leur passion, qui n’avait reflué que lentement dans les heures qui avaient suivi minuit. Puis son départ avait été soudain, la maison était désormais vide, et il avait dû revenir à pied jusqu’à sa chambre d’université dans les rues enneigées de la ville, joyeux et satisfait de lui-même.
Il pensait toujours à Tanith lorsque quelqu’un frappa à la porte de sa chambre. Il s’habilla à la hâte.
« Conrad Robury ? » demanda un homme grand et bien habillé. Conrad se sentit méfiant, le type regardant nerveusement autour de lui.
« Qui veut le savoir ? »
« Je m’appelle Fitten. Paul Fitten. Vous êtes en danger. En grave danger ! »
L’homme fit un geste vers la mallette qu’il portait à la main : « Tout est ici. Si seulement vous voulez bien écouter. S’il vous plaît, je dois parler avec vous ».
« De quoi ? »
« De ces satanistes ! Ils veulent faire de vous leur opfer ! Vous êtes en danger ! Je n’ai pas beaucoup de temps. Regardez, il ouvrit la mallette, étudiez ces livres, s’il vous plaît. Prenez-les. »
À contrecœur, Conrad prit des ouvrages.
« Ils sont après moi, dit Fitten, en regardant autour de lui, ils veulent m’arrêter, vous comprenez. Lisez ces livres, tout est là, je vous contacterai de nouveau, mais ils arrivent — je les sens approcher. Je dois y aller maintenant. Voilà mon adresse… », il tendit à Conrad une carte imprimée, nous devons parler ensemble le plus tôt possible. »
Fitten se précipita dans le couloir, avant de dévaler les escaliers.
De nouveau seul, Conrad s’assit à son bureau pour étudier les livres, sa curiosité éveillée. Le premier était intitulé Falcifer – Le fléau de notre époque et avait été imprimé sur du papier de mauvaise qualité dans une petite et curieuse police de caractère. La page de titre ne portait pas d’indication sur l’éditeur, seulement les mots « Bénarès, An de grâce mil neuf cent vingt-trois » et le nom de l’auteur, R. Mehta.
« Falcifer, commençait l’ouvrage, est le nom qu’ils ont choisi. Œuvrant en secret, en ce moment même, ils préparent sa venue. Il est le rejeton du Chaos, le chef de ces dieux sombres que même Satan lui-même craint. Pendant des siècles, ses disciples secrets nous ont trompés et nous trompent toujours, car il n’est pas la Bête… »
« Chéri », Conrad entendit une voix derrière lui dire : « es-tu prêt ? »
Tanith s’approcha de lui et l’embrassa :
« Viens, laisse tes livres — j’ai besoin de toi. »
L’invitation plut à Conrad qui oublia les livres, Fitten et tout le reste. Seule Tanith était réelle. Il s’abandonna à sa passion. Après quoi, elle s’habilla rapidement et dit :
« Nous devons y aller. Le Maître attend. »
« Bien sûr. »
Elle toucha les trois livres que Fitten avait achetés. L’un après l’autre, les ouvrages tombèrent en poussière.
« Les livres… », commença à dire Conrad.
« Ils ne sont pas importants. Nous devons y aller maintenant. » Et elle lui jeta ses vêtements.
Il marchait à côté d’elle, surpris, mais heureux, lorsqu’un chauffeur les fit monter dans une voiture luxueuse qui les attendait. Plusieurs étudiants se tournèrent vers eux et Conrad se sentit secrètement fier.
Le véhicule les conduisit hors de la ville, par des routes de campagne, jusqu’à une allée bordée d’arbres menant à une impressionnante demeure. Un homme très grand, au regard dur, bâti comme un lutteur, ouvrit la portière de la voiture et Conrad suivit Tanith sur les marches d’escalier qui conduisaient à la demeure. Ils traversèrent des pièces et des couloirs élégamment meublés, jusqu’à une véranda où un homme était occupé à lire.
« Bienvenue », dit-il, et il montra la chaise à côté de lui, « Conrad Robury. Vous êtes le bienvenu dans ma maison. »
Tanith ferma la porte, ce qui eut pour effet de les laisser exposés à l’air froid du dehors.
« Venez, asseyez-vous à côté de moi », dit l’homme.
Sa barbe était soigneusement taillée, ses vêtements sombres et légers, plutôt inadaptés à la météo. Sa voix avait un charme musical avec un accent léger que Conrad ne put identifier, mais ce furent ses yeux qui impressionnèrent le plus le jeune homme.
« Vous voulez apprendre ? »
« Oui », répondit Conrad, grelottant de froid et s’efforçant de ne pas le montrer.
L’homme sourit : « Je m’appelle Aris — au moins ici. Dites-moi, Conrad, serait-ce un effet de ce que vous avez éprouvé, après qu’une certaine dame — comment dirai-je ? Bien dotée — a commencé son rituel wicca ? »
Conrad fut étonné de ce que l’homme semblait connaître ses sentiments intérieurs.
« Peut-être. »
Aris poursuivit : « Vous commencez à comprendre que ce n’est pas le hasard qui vous a conduit ici. Peut-être, également que vous commencez à réaliser que vous avez trouvé ce que — ou devrais-je dire qui — vous cherchiez. Par conséquent, voulez apprendre de moi cet Art dont vous pensez que je détiens les secrets ? »
« Oui. »
« Et vous souhaitez être initié ? »
« Oui. »
« Vous avez un destin particulier à remplir — et je vous guiderai vers la réalisation de ce destin. Êtes-vous prêt à accepter toutes les conditions que je pourrais poser ? »
« Oui. »
« Vous ne semblez pas sûr — ce qui est bien —, il est normal que vous soyez inquiets. Notre voie est difficile et seulement faite pour ceux qui osent. Votre rituel d’initiation aura lieu bientôt, ensuite, vous commencerez à étudier notre voie… Mais vous devez comprendre que, depuis hier, les expériences que vous vivez sont formatives et participent de votre quête — c’est à vous de les comprendre. »
Il avait commencé à neiger, et Conrad grelottait de froid, malgré la joie qu’il éprouvait d’être accepté. Quelqu’un frappa à la porte qui menait à la véranda, et Aris, le Maître, sourit.
« Entre ! », dit-il.
Tanith entra et Aris se leva pour lui donner un baiser.
« Vous avez, bien entendu, déjà rencontré ma femme », dit-il à Conrad.
« Votre femme ? », Conrad qui se raidit, soudain réchauffé par le choc.
« Oui, chéri ! » dit Tanith et elle embrassa le visage de Conrad.
Conrad restait perplexe, mais le Maître dit : « Voyons comment vous avez mis à profit les douze dernières heures… Déjà, vous commencez à apprendre. Vous voyez, je sais ce qui est arrivé entre Tanith et vous ! ». Il rit : « Il n’y a pas d’éthique nazaréenne ici ! »
« En fait », ajouta Tanith, « il n’y a pas d’éthique du tout ! »
« Venez, Conrad, j’ai un cadeau pour vous : un cadeau pour votre Initiation ».
C’est un peu étourdi que Conrad suivit Aris dans une autre pièce. Sur un canapé, un nain au visage fermé semblait endormi.
« Conrad Robury, je vous présente Mador, votre guide. »
En entendant son nom, Mador se leva, exécuta un saut périlleux, atterrit près de Conrad et fit une révérence.
« Je suis, bien entendu, charmé ! », dit-il.
« Juste un mot d’avertissement — c’est un imbécile », déclara Aris.
« Bah !, répondit Mador, ignorez-le — c’est un menteur ! »
« Montre la maison à Conrad », dit Aris.
« Oui, Maître », répondit Mador, en s’inclinant avec un clin d’œil à l’adresse de Conrad.
Aris les laissa seuls.
« Vous êtes Conrad, dit Mador, eh bien, je vous appellerai — Professeur. Venez ! »
Le corridor qui succédait à la pièce était long, décoré de peintures à l’huile et de meubles anciens. On lui montra un petit laboratoire, la bibliothèque, de nombreuses chambres à l’étage, chacune décorée et meublée différemment. Certaines semblaient luxueuses, d’autres austères et quelques-unes plutôt bizarres avec des murs en forme de trapèzes et aucune fenêtre. Les jardins autour de la maison étaient grands, avec des pelouses bien entretenues. Mador montra du doigt le bois dense qui les clôturait à l’arrière.
« Jamais la nuit », dit-il brisant le silence. Il secoua la tête : « pas seul ».
« Pourquoi donc ? »
Mador ignora la question.
« Les caves ! J’ai oublié les caves ! » Il se frappa le front.
Mais la porte des caves était fermée ; Mador lui décocha un coup de pied énervé.
« Qu’est-ce que fait Aris ? », demanda Conrad.
« Le Maître ? Ce qu’il fait ? », répondit Mador perplexe, « pourquoi ferait-il quelque chose, c’est un Magicien ! »
Il porta sa main à son oreille, écouta : « venez professeur. Il est temps. Oui, il est temps. »
« Il est temps de quoi ? »
« Il est temps pour vous, Professeur. Elle m’appelle. »
Mador le conduisit à une salle à manger.
« Elle attend », dit-il en montrant la porte et il le laissa.
Tanith était dans la pièce, assise à la table où seulement deux chaises avaient été disposées.
« Assieds-toi, ici, à côté de moi », lui dit-elle.
« Ton mari ne se joint pas à nous ? »
« Le Maître ? Pourquoi ? Non. »
Elle fit sonner une clochette de service en argent.
Une servante vint apporter le hors-d’œuvre. Conrad la trouva très jolie, mais elle refusa de le regarder.
« As-tu apprécié la visite ? », lui demanda Tanith, en dégustant élégamment son melon.
« Oui et non. »
« Et pourquoi donc ? »
« Je réfléchissais encore — à propos de toi, de moi et de ton mari. »
« Nous sommes différents, ainsi que tu es en train de l’apprendre »
« Donc, ça ne le dérange pas ? »
Elle a souri : « Qu’en penses-tu ? »
« Je crois que je commence à comprendre. »
« Excellent ! Tu seras logé ici, avec nous, bien sûr, la semaine qui vient, quelques semaines, ou davantage. »
« Je n’avais pas pensé à ça, mes études… »
« Elles sont plus importantes pour toi que l’objet de ta quête ? Ou que le plaisir que tu prends avec moi ? »
« Bien sûr que non. »
« Quelles que soient les affaires que tu souhaites avoir avec toi, ici, nous les ferons transporter de ton logement. »
« Et si je ne veux pas rester ? »
« Tu es libre de t’en aller quand tu le désires »
Elle fit sonner la clochette et attendit que la servante en ait terminé, avant de reprendre :
« Cependant, si tu nous quittes, il ne pourra pas y avoir de retour. »
« Je vois. »
Durant un moment, ils mangèrent en silence.
« Combien de temps devrais-je rester ? », demanda-t-il finalement.
« Autant de temps que nécessaire. »
« C’est pour tester mon désir d’initiation ? »
Tanith sourit : « Peut-être. Tu devrais goûter le vin, une excellente année. Du moins, c’est ce qu’on m’a dit »
« Je ne bois pas d’alcool ».
« Vraiment ? Comme c’est extraordinaire ! » Elle but une gorgée de vin, « à en juger par la nuit dernière et ce matin, tu ne m’as pas semblé vivre comme un bouddhiste. »
« Ça embrouille l’esprit. »
« Le bouddhisme ? »
« Non — le vin et ce genre de boissons ».
« Ou bien ça l’ouvre. » Elle leva son verre : « à Bacchus le Grand ! »
Le verre fut bientôt vide.
« Je suppose, dit-elle lascivement, que cultiver un vice à la fois est suffisant — pour le moment ! »
Conrad soupira. Il sentait que, dans une certaine mesure, il était manipulé ; mais il décida de ne pas s’en soucier. Le souvenir de son étreinte passionnée avec Tanith était vif.
« Est-ce que je peux te voir ce soir ? », lui demanda-t-il, « je veux dire… »
« Je sais ce que tu veux dire, dit-elle doucement, je suis sûr que ça peut s’arranger. Cette vigueur de la jeunesse ! » Elle ferma les yeux : « pour paraphraser un auteur français, les plaisirs du vice ne doivent pas être réfrénés. »
Elle sonna de nouveau la cloche : « Tu vas avoir un après-midi et une soirée plutôt occupés, si j’ai bien compris. »
« Occupés à faire quoi ? »
« Oh, diverses choses. Tu n’as pas mangé beaucoup. »
« Je suis un peu excité, je suppose. »
« Café ? »
« Oui, s’il te plaît. »
La servante revint murmurer quelque chose à l’oreille de Tanith.
« Viens », lui dit Tanith.
Près de la porte d’entrée, dans le hall, le type à la carrure de lutteur retenait un homme par les bras. Conrad le reconnut. C’était Fitten.
« Ça ira, Guedor », déclara Tanith.
L’homme hocha la tête et libéra Fitten.
« Vous devez partir !, cria Fitten à Conrad, ils sont maudits ! Ils vous veulent comme… »
Tanith fit un geste de la main et le poing de Guedor frappa Fitten, ensanglantant son visage. Conrad la vit sourire.
« Reconduis-le dehors » dit-elle à Guedor, et verrouille les portes. »
Elle ferma la porte : « Fitten ne nous dérangera plus ».
« Vous le connaissez donc ? », demanda Conrad, surpris.
« Oui, nous le connaissons. Il se présente lui-même comme un Magicien blanc. Il dirige un groupe de sorcellerie dans la ville. Tu es très demandé, semblerait-il. »
« Ça doit être mon charme naturel ! »
Elle ne répondit pas. Ses yeux ne trahissaient aucune émotion.
« Le Maître t’attend. Dans la bibliothèque. Vas-y maintenant ».
Elle s’en alla.
Dans la bibliothèque, Conrad ne vit personne. La pièce était sombre. Il était sur le point d’ouvrir l’un des volets qui avaient été refermés sur les fenêtres, lorsqu’il entendit une voix derrière lui.
« Assieds-toi », dit la voix.
Il ne vit personne, mais s’assit à la table. Il y eut un bruit de pas derrière lui.
« Ne te retourne pas, dit la voix qui ressemblait à celle du Maître, ton Initiation aura lieu ce soir. Es-tu prêt ? »
Il ne l’était pas, mais ne voulut pas l’avouer : « Oui », mentit-il en essayant de se convaincre lui-même.
« Après le rituel initiatique, il y aura une tâche que tu devras accomplir. Mais à présent, tu dois méditer. »
Le coup qui lui fut porté plongea Conrad dans les ténèbres.
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CHAPITRE IV
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Il se réveilla dans l’obscurité, couché sur une surface dure. Son cou lui faisait mal. Des deux côtés, il sentait un mur froid, brut. Le mortier entre les briques s’effrita lorsqu’il le toucha des doigts. Aucun son ne lui parvenait et la porte d’acier de la cellule refusa de s’ouvrir.
Il resta allongé longtemps, pensant à son existence, à Tanith, au Maître et au groupe sataniste auquel ils semblaient appartenir. Une fois et une seule, il eut peur, mais la peur passa rapidement lorsqu’il se souvint de la façon dont Neil avait parlé des épreuves d’Initiation. L’obscurité et le silence eurent finalement raison de lui et il s’endormit.
Le bruit métallique le réveilla. Il se leva pour voir la porte s’ouvrir lentement, répandant une lumière diffuse dans la cellule. Il attendit, mais personne ne vint. À l’extérieur, des marches de pierre montaient le long d’un couloir étroit. Il les grimpa prudemment. L’escalier le conduisit à une salle circulaire éclairée par une sphère posée sur un piédestal au centre de la pièce et, tandis qu’il restait à contempler la lumière qui pulsait et changeait graduellement de couleur, il sentit que la salle commençait à tourner. Était-ce une impression — ou est-ce que la pièce tournait réellement ? Il entendit un chant lointain, sombre et sentit le parfum d’un encens lourd. Il fut surpris lorsque le mouvement s’arrêta et que, ce qu’il croyait être une partie du mur, se révéla être l’accès à une grande salle en contrebas.
Des marches le conduisirent jusqu’à des silhouettes vêtues de robes noires qui se tenaient autour d’un autel de pierre. Le Maître était là, ainsi que Tanith, vêtue de blanc, et elle lui fit signe. Quelque part, des tambours se mirent à battre et les chantres incantèrent un chant hypnotique dans une langue qui lui était inconnue.
Tanith souriait.
Il descendit vers elle.
« Toi, dit le Maître Aris d’une voix presque chantante, qui es venu ici, sans nom, pour recevoir cette initiation donnée à tous ceux qui désirent la splendeur des dieux ! »
Deux silhouettes dont les visages étaient cachés par les capuches de leurs robes s’approchèrent pour saisir Conrad et lui ôtèrent ses vêtements jusqu’à ce qu’il soit entièrement nu.
« Tu es venu, dit Aris, pour sceller un serment d’allégeance envers moi, ta maîtresse qui se trouve ici et tous les membres de notre Temple Satanique. »
Tanith s’approcha et l’embrassa sur les lèvres.
« Je te salue, dit-elle, au nom de notre Prince ! Que les Dieux Sombres et Ses légions soient témoins de ce rite ! »
Elle se tourna vers la congrégation : « Je vous ordonne de danser ! Et que le battement de vos pieds lève les légions de notre Seigneur ! »
Le Maître chantait quelque chose que Conrad ne pouvait pas comprendre.
« Bois ! » dit Tanith à Conrad en lui tendant un calice en argent.
Il le fit, buvant le vin jusqu’à ce que le calice soit vide.
« Rassemblez-vous, mes enfants », dit Tanith, et la congrégation obéit, enfermant Conrad dans leur cercle, « et sentez la chair de notre cadeau ! »
Ils vinrent vers lui en souriant et firent courir leurs mains sur sa peau. Conrad était gêné, mais s’efforça de ne pas le montrer. L’un des membres de la congrégation était une jeune femme et elle resta ce qui lui sembla être un long moment devant lui, afin qu’il puisse voir son visage enfermé dans la capuche de sa robe. Il la trouva belle et elle passa ses mains sur ses épaules, sa poitrine et ses cuisses avant de caresser son pénis, souriant lorsqu’il eut une érection. Puis elle disparut, de nouveau perdue dans le cercle des danseurs. Des mains puissantes le saisirent et on lui banda les yeux.
Il pouvait entendre la voix de Tanit, le chant, et les danseurs qui se déplaçaient autour de lui.
« Nous nous réjouissons, dit Tanith, qu’un autre vienne nous ensemencer de son sang et de ses dons. Nous, engeance du Chaos, nous t’accueillons, toi sans nom. Tu es l’énigme et moi la réponse, et le début de ta quête. Car, au commencement était le sacrifice. Nous possédons des mots pour te lier à nous à travers les temps, car à tes commencements, nous étions. Avant toi — nous avons été. Après toi — nous serons. Avant nous — ceux qui n’ont jamais été nommés. Après nous — ils seront encore. Et toi, par ce rite, tu seras des nôtres, lié à nous, comme nous sommes liés à eux. Nous les purs qui nous drapons de noir, grâce à eux, nous possédons ce rocher que nous appelons la Terre. »
Le Maître était devant lui : « Acceptes-tu notre loi ? »
« Oui, je l’accepte », répondit Conrad.
« Acceptes-tu de te lier, par tes paroles, par tes actes et par tes pensées, à nous qui sommes la semence de Satan, sans réserve ni crainte ? »
« Oui. »
« À présent, sache que rompre ton serment déclenchera notre colère ! Regardez-le ! Écoutez-le ! Connaissez-le ! »
Les danseurs s’arrêtèrent et se rassemblèrent de nouveau autour de Conrad pour le palper rapidement.
« Donc, dit le Maître, tu renonces au Nazaréen, à Yeshua, le grand séducteur et à toutes ses œuvres ? »
« Oui. »
« Dis-le ! »
« Je renonce au Nazaréen, à Yeshua, le grand séducteur et à toutes ses œuvres ! »
« Reconnais-tu Satan ? »
« Je reconnais Satan. »
« Satan — dont la parole est le Chaos ? »
« Satan — dont la parole est le Chaos ! »
« Alors brise ce symbole que nous détestons ! »
Une croix de bois fut placée dans ses mains. Il la brisa avant de jeter les morceaux sur le sol.
« Maintenant, reçois, continua le Maître, comme symbole de ta foi et témoignage de ton serment, ce sceau de Satan. »
Tanith donna au Maître une petite fiole d’huile aromatique et Aris traça le signe du pentagramme inversé sur le front de Conrad avec l’huile en scandant « Agios ô Satanas ! ». Puis, tandis qu’Aris tenait le bras de Conrad, Tanith entailla son pouce avec un couteau aiguisé. Elle prit du sang pour tracer, avec son index, le sceau du Temple sur son cœur.
« Par les pouvoirs que nous, maître et maîtresse, détenons, ces signes seront toujours une partie de toi : un symbole aurique qui te marque comme disciple de notre prince ! »
« À présent, tu dois apprendre, dit la voix de Tanit, la sagesse de notre chemin ! »
Deux membres de la congrégation s’approchèrent de lui et le forcèrent à s’agenouiller devant elle.
« Vois, dit-elle en riant, vous tous réunis aujourd’hui dans mon Temple : ici est celui qui croyait connaître notre secret — celui qui se félicitait secrètement pour son intelligence. Voyez comme notre puissance le soumet ! »
La congrégation se mit à rire et il sentit qu’on liait ses mains derrière son dos. Durant une seconde, il se sentit envahi par la peur, mais ce sentiment disparut, bientôt remplacé par de la colère et il se débattit pour se libérer de ses liens.
« Quelle fougue ! », il entendit la voix moqueuse de Tanith : « Écoute, lui dit-elle, écoute et apprends ! Tais-toi et reste immobile »
Conrad se tendit pour écouter. Il y avait un bruissement, un son qui aurait pu être produit par des pieds nus marchant sur pierre, le chant se conclut pour faire place au silence. Il resta immobile, même lorsqu’il entendit quelqu’un s’approcher de lui, alors qu’il gisait sur le sol du Temple. Il sentit une main chaude caresser doucement sa peau, la douceur d’une femme nue contre lui et un agréable parfum. Il ne résista pas lorsque qu’elle l’attira tout contre d’elle de ses bras souples et il commença à répondre à ses baisers et caresses.
« Reçois de moi, murmura la femme, le don de ton initiation. »
Toujours attaché et les yeux bandés, il s’abandonna à la passion physique qu’elle attisa et contrôla, et il ne fallut pas longtemps pour qu’il atteigne le point culminant de l’extase. Lorsque ce fut terminé, elle ôta la corde qui lui liait les mains et le bandeau qui l’aveuglait. Conrad reconnut la jeune femme qui l’avait caressé plus tôt. Sur l’autel reposait une robe noire, elle la lui donna avant de sonner la Cloche du temple.
Le son fut le signal pour le retour de la congrégation, dont chaque membre salua Conrad, leur nouvel initié, d’un baiser. Des calices de vin furent distribués et il lui en fut donné un. Il le dégustait, tandis qu’autour de lui débutait une orgie.
« Viens, lui dit Tanith, nous avons d’autres choses à faire. »
Elle le conduisit hors de la pièce, par des escaliers de pierre qui remontaient jusqu’à une porte en bois dissimulée conduisant dans une cabane. Dehors, il faisait nuit, mais la lumière réfractée par la neige éclairait les bois. Il suivit Tanith en grelottant de froid. Ils n’échangèrent aucune parole durant ce qui lui sembla une longue marche vers la maison. À l’intérieur, il faisait chaud, une vague odeur d’encens parfumait les lieux.
« Repose-toi à présent », dit Tanith, et elle l’embrassa.
Il l’enlaça et caressa ses seins.
« Je dois y aller », dit-elle sans sourire, « Guédor va te conduire à ta chambre. »
Conrad fut surpris de voir sortir de l’ombre le visage sinistre de Guédor.
La chambre n’était pas meublée à l’exception d’un lit, mais il faisait chaud et Conrad s’installa bientôt sous la couette pour lire l’ouvrage qui se trouvait posé sur l’oreiller : Le Livre noir de Satan, annonçait le titre.
Le premier chapitre était intitulé « Qu’est-ce que le satanisme », et il était en train de lire lorsqu’il entendit des sons étranges, presque surnaturels, à l’extérieur. Il tira les rideaux et découvrit, à sa grande surprise, qu’ils cachaient non une fenêtre, mais une peinture à l’huile. C’était le portrait d’un jeune homme portant des vêtements médiévaux et il le fixa durant un certain temps avant de réaliser que c’était un portrait de lui-même. La peinture portait une signature qu’il ne pouvait pas lire et une date : MDCXLII. 1642, se dit-il. Les couleurs semblaient quelque peu passées avec l’âge et la toile craquelée comme pour confirmer l’antiquité du portrait.
Les sons étranges avaient cessé, remplacés par des éclats de rire provenant de l’autre côté de la porte. Il s’y rendit, mais elle était fermée.
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