« La seule magie inoffensive est la magie qui ne fonctionne pas », Axaphat.
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Melmothia : Bonjour Axaphat, pourrais-tu, en guise d’introduction, nous dire quelques mots de ton parcours personnel magique et spirituel ? Et comment en es-tu arrivé à créer ton propre courant ?
Axaphat : Bonjour Melmothia. Nous avons tous nos motivations qui sont bien souvent argumentées par une somme d’évènements et de circonstances difficiles à résumer en quelques phrases. Essayons malgré tout. C’est d’une manière naturelle, bercé par le folklore d’une famille un peu superstitieuse, que je me suis intéressé à l’ésotérisme. Sans grande prétention, je considérais les grimoires de pacotille comme de grands trésors merveilleux capable de me donner le pouvoir de rendre le monde meilleur. Une âme de chevalier depuis tout petit, j’étais plutôt candide en fait.
Enfant de chœur jusqu’à l’adolescence, c’est une tragédie qui a engendré un revirement spirituel. J’ai renié Dieu, tout en me demandant si mes afflictions n’étaient pas une punition pour avoir cet intérêt grandissant envers l’occultisme. Ce doute m’a longtemps travaillé d’ailleurs… Bref, après quelques balbutiements, je me suis orienté vers le satanisme, qui a eu autant d’effets positifs que négatifs. Une fois extrait de cette spirale de révolte dans laquelle j’étais, qui, à l’époque, il faut bien l’avouer, était juste une béquille psychologique, j’ai examiné plus en profondeur les courants religieux, leurs émergences, leurs détracteurs, etc. Pour en conclure que rien de ce qui était proposé ne me convenait vraiment alors que j’étais devenu une coquille vide, ni de droite, ni de gauche.
Entre temps, j’avais fréquenté de nombreux passionnés et pratiquants, qui rencontraient, pour beaucoup, le même manque. Un désir d’être en dehors des sentiers battus tout en étant attaché à une philosophie réaliste sans mièvrerie. Du coup, à la place de suivre les autres, par paresse, par facilité… pour éviter d’être le seul con à croire en de potentielles idioties… j’ai longuement médité et étudié, tâchant d’être au plus proche de ce que je ressentais. La goétie contemporaine a pris tout doucement naissance.
Melmothia : Pourrais-tu définir « La goétie contemporaine » pour les lecteurs de Rat Holes ?
Axaphat : Je fâche la communauté des puristes avec cette dénomination. De la même manière, je suppose, que le satanisme moderne, la magie du chaos, et autres paradigmes récents, ont tout d’abord été incendiés, réfutés, exhortés. C’est assez fascinant d’ailleurs de voir à quel point ces esprits censés être ouverts peuvent se montrer si vindicatifs envers une émergence de courant, sans même en apprendre le fondement. Enfin bref, je digresse, mille pardons.
La goétie contemporaine est une philosophie qui se veut moderne et adaptée à la vie actuelle. C’est une voie d’étude qui part du principe que le monde n’est pas régit par deux forces opposées, mais bien par une seule qui englobe tout, une vision moniste. Les valeurs de moralité sont réinitialisées pour éviter d’être sous l’influence d’un esprit grégaire, une pensée sectaire, ou encore des préjugés castrateurs. Tout cela dans le but de développer son identité propre et d’y être fidèle. C’est avant tout réacquérir un équilibre de vie, le sens des valeurs et des priorités pour être heureux et accompli. À cela vient s’adjoindre un cérémoniel pratique, usant du panthéon démoniaque de la goétie traditionnelle. Pourquoi ce choix ? Parce qu’il est ancré dans l’inconscient collectif, bénéficie d’un égrégore conséquent, et inspire l’efficacité. On est loin de l’usage kabbalistique, il s’agit d’une réappropriation du paradigme greffé sur un déroulement plus ou moins inventé, plus ou moins inspiré, proche de la méthodologie « Kaos ».
Melmothia : Tu présentes ta voie comme « un chemin d’évolution dans les Ténèbres ». Ailleurs, tu la qualifies de « voyage ». Où ce chemin t’a-t-il mené jusqu’à présent ?
Axaphat : Loin de beaucoup de choses, mais néanmoins à la place où je me sens bien. Cela m’a rendu stable, bien plus équilibré qu’avant, et conscient de mes capacités.
Melmothia : Concernant cette démarche méritoire de vouloir t’extraire de la mélasse du manichéisme, tu en es sorti vivant et en un seul morceau ?
Axaphat : Non. Lorsqu’on est matraqué de vérités de pacotille pendant vingt ans, érigées en tant qu’intouchables et que, par malheur (ou bonheur), après avoir transgressé les interdits et touché du doigt ces vérités, celles-ci s’effritent pour ne laisser qu’un tas de crottes, on est anéanti. C’est peut-être le propre des émotifs, sensibles… ou exaltés… de prendre les choses autant à cœur. Quoi qu’il en soit, combien d’occultistes ont abandonné en brûlant leurs livres et grimoires ? Combien ne sont devenus que l’ombre d’eux-mêmes après une prise de conscience ? Je suis passé par des périodes vraiment très sombres, maudissant l’humanité toute entière de m’avoir fait prendre des vessies pour des lanternes. Même si c’est du passé, tout cela laisse des cicatrices. Malgré tout, j’en suis ressorti grandi et, je n’ai pas honte de le dire, la goétie contemporaine a été une vraie planche de salut.
Melmothia : tu affirmes qu’il faut communier avec les Ténèbres par choix et non par dépit, tout en tapant copieusement sur la / les religions, notamment en affirmant que « la lumière remplie de mensonges ».
Axaphat : Bien sûr je joue un peu la provocation en taquinant les religions de la sorte. C’est une manière abordable de dire que si les croyants s’intéressaient au fond autant qu’à la forme de la religion suivie, ils auraient peut-être une vue plus authentique de la spiritualité qu’on leur vend. Et lorsque je parle de « choix et non par dépit », c’est tout simplement pour éviter aux intéressés de faire la même erreur que moi, et beaucoup d’autres : s’intéresser au satanisme ou à la magie « noire », par esprit de revanche ou de rébellion. C’est une très mauvaise idée et je ne pouvais pas éviter de le mentionner d’une manière ou d’une autre. J’ai eu, malgré tout, la chance d’être bien guidé en traversant cette période. Si cela n’avait pas été le cas, peut-être que je dormirais sous les ponts ou dans une cellule à l’heure actuelle… si c’est pas déjà entre six planches.
Melmothia : Et donc, tu n’as jamais porté de tee-shirt « Fuck Jesus » ? Vraiment pas ?
Axaphat : Entre vingt et vingt-cinq ans, un pentagramme inversé, ajouté d’un titre d’album du groupe « Slayer » dont je ne me souviens plus, mais pas de « Fuck Jesus » sur mes tee-shirts ; )
Melmothia : Quel est le corpus pratique / rituélique de la Goétie contemporaine ?
Axaphat : Il se veut le plus structuré possible. Beaucoup de méditation, de visualisation, et autres procédés, pour exercer les talents inhérents aux actes magiques. Au-delà de toute utilisation dans des rituels, c’est un apprentissage que j’estime utile.
Le cérémoniel, très protocolaire, repose sur la répétition, utilisant tous les artifices de mise en condition propice à la réussite. Autant les activations d’égrégores, que l’utilisation de consonances latines et étrangères afin d’insuffler le mystère, engendrant la détermination et la volonté.
Tout repose en fait sur des processus qui sont détaillés sans langue de bois. L’intéressé sait, avant de commencer, qu’il n’est pas détenteur d’un savoir séculaire ou de rituels provenant d’un vieux livre poussiéreux. Il est informé de la manière dont cela fonctionne, ou plutôt, dont la manière dont cela est censé fonctionner. On adhère ou on n’adhère pas, mais j’ai voulu, en procédant de cette manière, éviter de provoquer des déceptions que j’ai moi-même connues, me rendant compte que tel ou tel cursus supposément ancestral, n’était qu’une fumisterie. Même si ça fonctionnait, la psyché en désillusion ne laisse plus la place aux probabilités de réussites. On sait tous ce que cela engendre en matière de résultat…
Melmothia : Et donc, de ton point de vue, mieux vaut asservir les démons ou sympathiser ?
Axaphat : Aucun des deux. Sympathise-t-on avec une brouette ou un scorpion ? L’image est mal employée, car l’idée n’est pas de comparer un démon à une brouette bien sûr, mais je veux dire par là que, même si les démons ont une intelligence, une conscience, comment pourrais-je avoir la prétention de les comprendre ? Ou croire que j’obtiendrais plus facilement leurs faveurs en tentant de les soumettre, ou les amadouer ? Je les considère avec respect. Ils me rendent service et je les rétribue pour cela. Ça fonctionne sans les habituels désagréments des systèmes opératifs basés sur la contrainte et, pour moi, c’est tout ce qui compte. C’est une forme de commerce. Ni plus ni moins. Ce rapport de distance m’évite également de m’interroger sur la réalité des démons et leurs influences concrètes sur ce monde.
Melmothia : À quels genres de magie t’es-tu essayé en dehors de la goétie ?
Axaphat : Liste non-exhaustive : Sorcellerie de campagne, wicca gardnérienne, wicca luciférienne, gnose luciférienne, magie égyptienne, magie pantaculaire, kaos magick, nécromancie (nigromancie serait plus approprié), satanisme théiste.
Melmothia : Quels sont tes auteurs (ésotériques ou non) de prédilection ? Et quels sont les courants de la Main Gauche contemporains qui ont ta sympathie ?
Axaphat : Pour ne citer qu’eux, Gérard Encausse et Arnaud Thuly. Il y en a beaucoup d’autres, mais c’est ceux qui me viennent en premier à l’esprit. La raison est simple, peu importe que j’adhère à leurs propos ou non, ce sont des vulgarisateurs et j’aime ça. Certains leur reprochent un manque de rigueur et un phrasé trop populaire. Moi je trouve qu’au contraire, cela évite les malentendus au maximum, car je considère la langue de bois, la langue des oiseaux, la langue de vipère, et toutes les autres langues trop bien pendues, comme étant responsables du capharnaüm inextricable dans lequel la spiritualité s’est enlisée et piétine. La spiritualité fait partie de tous, et pourtant on pourrait croire qu’il faut être universitaire ou docteur ès lettres pour y entendre quelque chose.
Il n’y a pas de courant de la main gauche en particulier qui possède ma sympathie. Je préfère accorder ma sympathie aux disciples, tous courants confondus, ceux qui font preuve de discernement et évitent de faire n’importe quoi sous l’égide de la philosophie qu’ils suivent. Ainsi j’ai autant de respect pour un chrétien, qu’un musulman, qu’un sataniste, ou un pastafariste, tant que la démarche est authentique et non corrompue par une forme de fanatisme. Après tout, nous recherchons tous une forme de vérité.
Melmothia : Tu as consacré une vidéo entière à la question des pactes. J’imagine que tu en as toi-même réalisés ? Tu peux nous en dire quelques mots ?
Axaphat : Oui, j’en ai réalisé. Je n’ai pas de regrets, car je savais où je mettais les pieds et ce que je faisais. Je m’attendais donc aux conséquences. Le plus ennuyeux c’est que le souhait n’est jamais vraiment accordé dans sa totalité. Du moins pour ma part… Ce sont des expériences personnelles et je ne m’y attarderai pas, mais, en exemple, lors d’un banal rituel, j’avais fait la demande d’avoir des sens plus aiguisés. En termes de résultat, une sinusite chronique que je traînais depuis l’âge de sept ans a disparu. J’ai beau être rationnel, tout porte à croire que cette rémission fut le fruit du rituel exécuté. J’ai donc pu respirer par le nez bien mieux depuis lors. Quelle conclusion en tirer ? Mon sens de l’odorat a été plus aiguisé, le contrat était rempli… même si ce n’était pas comme je l’espérais. C’est de cette manière que j’ai été un peu grugé par mes pactes.
Melmothia : Tes vidéos s’adressent plutôt au grand public dans une approche que l’on pourrait qualifier de « pédagogique » – quelque chose comme : votre enfant est sataniste, n’ayez pas peur, ce n’est pas sale -. Pourquoi ce choix ? Dans cette optique, tu sembles t’être donné pour mission de rassurer tes auditeurs, en rejetant par exemple les passages à l’acte (meurtres, profanations, etc.) hors du « vrai » satanisme. Cette tendance à séparer le bon grain de l‘ivraie a été inaugurée dès la fondation de la Church of Satan et j’ai vu toute une floraison de reportages dans les années 90 où les gothiques et les métalleux s’armaient maladroitement contre la stigmatisation en lissant leur image jusqu’à se retrouver assis sur un mouchoir de poche. Cet angélisme n’est-il pas aussi dangereux ou tout aussi naïf que la criminalisation du satanisme ? Et en quoi cette voie serait-elle libératrice ? La Main Gauche est par essence liée à la transgression, après tout – surtout si, comme tu le dis, les démons incarnent des tabous et des interdits moraux. Que peut donc être une Voie Sénestre sans débordement et qui tient dans la poche ? (oui, je sais, ça fait beaucoup de questions)
Axaphat : Le « vrai » satanisme du « faux » est déjà tout un débat… J’ai simplifié ma vidéo, mais on pourrait plutôt mentionner qu’une minorité médiatique ne constitue pas la définition intrinsèque du terme « sataniste », sans parler de vrai ou de faux.
J’ai adopté cette manière didactique simplement en réponse à une constatation. Ayant fréquenté de nombreux forums en tant qu’administrateur ou autre poste responsable, j’ai souvent été confronté à des situations dramatiques. Je ne compte pas le nombre de projets de suicide que des discussions ont réussi à faire avorter. Des appels à l’aide de jeunes en plein désarroi, à deux doigts de tout laisser tomber, de fuguer, parce qu’ils se sentaient douloureusement seuls ou sans perspective d’avenir. L’adolescence peut être une phase très pénible et s’il y a bien un évènement plus traumatisant que les autres, c’est être face à l’incompréhension de ses parents. C’est à la suite d’un énième épisode similaire que j’ai eu en projet de faire cette vidéo. Je me souviens de ma mère, par exemple, qui jetait du sel dans ma chambre parce que j’avais un petit autel drapé de rouge avec une bougie dessus et un pentacle dessiné. Un adolescent est rarement pris au sérieux lorsqu’il tente de donner des explications. Rares sont ceux capables d’être cohérents et persuasifs de toute manière. Je n’ai pas eu d’autres prétentions que de tenter de rationaliser un choix de vie d’adolescent vécu par les parents comme une tragédie familiale. Bien entendu, je suis tout à fait d’accord avec toi, il ne faut pas tomber dans l’inverse et banaliser la chose. C’est d’ailleurs la raison qui m’a poussé à conseiller, au mieux de mes compétences, d’être attentif aux faits et gestes d’un individu dans cette phase, sans pour autant le condamner.
Je pense que cette voie est libératrice pour certains, car elle donne l’opportunité aux « persécutés » (les marginaux binoclards et autres laissés pour compte qui sont la risée des lycées) de s’affirmer et de trouver du réconfort dans un environnement qu’ils voient sans doute très hostile.
Pour répondre à ta question « que peut donc être une voie senestre sans débordement ? », je te répondrai que c’est une des raisons qui m’ont poussé à créer la goétie contemporaine. Le satanisme, comme bien d’autres voies senestres, est une philosophie réactionnaire. Cela ne peut être que transitoire sinon on risque de tomber très facilement dans des débordements à un moment ou un autre, car on reste enchaîné dans une démarche d’opposition. Pour ne reprendre que le satanisme, il suffit d’en lire les premières règles qui utilisent la candeur et l’imbécillité relative du christianisme, pour mettre en avant une logique de vainqueur une fois rallié à la paroisse du diable. Il n’y a qu’un pas à faire pour décider de se comporter en persécuteur envers ces « candides imbéciles ».
Melmothia : Tu définis, très justement à mon sens, le mage noir comme quelqu’un qui pense que la fin justifie les moyens. Et donc : est-ce que tu penses que la fin justifie les moyens ?
Axaphat : Oui ! Mais l’interprétation de ce « oui » peut vite devenir dangereuse. Il dépend exclusivement d’une moralité qui est relative à chacun. Il est donc nécessaire de nuancer en gardant une certaine mesure. C’est ce qui différencie un opportuniste d’un psychopathe je suppose. Ce n’est pas parce qu’on est une peau de vache dans son entreprise qu’on va forcément vendre sa belle-mère ou zigouiller le voisin qui tond sa pelouse un dimanche matin. Là encore, tout est une question de priorité et de valeurs qu’on attribue aux aspects de sa vie. De la même manière qu’un bon collègue, ou un mage « blanc », peut très bien être un mari violent…
Melmothia : Dans le même ordre d’idée, Ramsey Dukes affirme que « l’un des axiomes de base de la philosophie magique est que l’éthique grandit en soi-même, dès lors qu’on a commencé à cerner la différence entre ce que l’on a appris à croire et ce que l’on désire croire ». Que penses-tu de cet axiome ?
Axaphat : C’est exact, mais je ne sais pas si ce type d’affirmation sert à quelque chose. À moins que je n’aie pas compris la subtilité de la phrase, en décodé pour moi, cela veut dire que l’éthique, la rigueur du comportement, la moralité, évolue dès qu’on fait la différence entre des informations imposées, et des informations qu’on choisit de croire sciemment. Si je mets en pratique, ça donne quelque chose comme ça. En tant que mormon convaincu, bien encadré par l’éducation familiale, je tombe par hasard sur un entretien du Grand Monarque, le Christ Cosmique, et je décide de croire en son discours, bien plus proche de mes propres convictions, enfouies dans le fond de mon crâne à coup de « livre de mormon » sur la gueule. Du coup, mon comportement, mon schéma de pensée et de vérité, mon éthique vont se développer dans ce sens. L’axiome est exact dans ce cas, mais est-ce que ça va apporter de l’eau au moulin et aider à développer une éthique « intelligente » ?
Melmothia : Parmi les expériences magiques et mystiques que tu as pu vivre, quelle est celle qui t’a le plus marqué – si tu acceptes d’en parler ?
Axaphat : J’aurais beaucoup à dire, mais je pense que chaque évènement initiatique reste du domaine personnel. Un détail anodin peut sonner comme une révélation pour certains, et vice-versa. Pour cette question, je préfère donc m’en tenir au quatrième axiome du mage, et me taire. ; )
Melmothia : Quelque part, tu affirmes que pour éviter les « délires » et conserver un certain recul, il faut commencer par « écarter les causes scientifiquement explicables ». C’est une question qui m’intéresse particulièrement, puisque je pense très précisément le contraire. Si ces puissances surnaturelles existent, tu penses vraiment qu’elles peuvent être reléguées à l’exception ou sur les bords ?
Axaphat : Je vais reprendre une citation qui me plaît beaucoup : « Il n’est pas pire aveugle que celui qui refuse de voir ! Mais, pire est celui qui voit là où il n’y a rien à voir. ». Nous sommes nos propres ennemis. Il y a tellement de mécanismes psychologiques qui peuvent fausser le tableau qu’il est pour moi nécessaire d’avoir les pieds bien enracinés pour ne pas partir en orbite sur Mars. La « paréidolie » et la « corrélation illusoire », pour ne citer que ces deux-là, peuvent persuader le pratiquant d’un résultat qui n’est que le fruit du hasard ou d’une relation de cause à effet totalement farfelue qu’il estime valable.
Et le phénomène de groupe, où le conformisme pousse à avoir des hallucinations collectives. Je ne l’invente pas, ce sont des phénomènes prouvés, et également des techniques bien connues de tout gourou qui se respecte. Tout cela laisse sous-entendre que dans une démarche de conviction absolue, l’acte magique peut très bien être le fruit de l’imagination. Combien d’individus se croient poursuivis par une malédiction ou un envoûtement ? Alors qu’une séance chez un psy réglerait le problème (ou pas). Le cerveau crée des illusions, ce qu’il nous montre n’est qu’une interprétation de la réalité, pas la réalité elle-même. C’est donc pour moi vital d’avoir un recul et une approche rigoureuse envers les phénomènes désignés comme « magiques ».
Melmothia : j’ai entendu dire que tu avais eu des soucis à cause des svastikas présents sur l’emblème de ton courant, bien que tu aies pris soin de préciser qu’elles ne comportaient aucune connotation politique. Tu peux nous en dire plus ?
Axaphat : Les agitateurs, coincés du cul, et autres frustrés, concluront toujours ce qu’ils ont envie, peu importe l’argument ou l’explication. C’est comme tous ces complotistes qui voient le diable et le nouvel ordre mondial sur un logo de paquet de biscottes ou dans la grimace d’un « people » photographié au mauvais moment. En arborant ce symbole, j’étais bien conscient que ce genre de choses pouvaient se produire. J’ai longuement pesé le pour et le contre, le tollé que cela risquerait de provoquer, les amalgames foireux, etc. L’un dans l’autre, peu importait la représentation graphique, comme indiqué plus haut, tout et n’importe quoi peut être prétexte à une interprétation diabolique. Alors, comme ce symbole s’était imposé à moi pendant ma phase d’introspection, j’ai décidé d’assumer en dépit des ennuis potentiels. Hormis quelques hurluberlus qui ont joué les scandalisés sur divers forums, la symbolique initiatique a malgré tout été bien accueillie. D’ailleurs, de moi à toi, on peut bien me traiter de n’importe quoi, contrairement à ces maniaques et endoctrinés, je suis serein et j’ai la conscience tranquille.
Melmothia : Lors d’une discussion privée, tu m’as dit que tu avais pris tes distances avec la sphère ésotérique, du moins de façon publique, pour te consacrer davantage à l’écriture. Pourquoi cet éloignement ou, pour paraphraser Riffart : comment peut-on s’intéresser à autre chose qu’à l’ésotérisme ? Et quels sont tes projets en cours ?
Axaphat : En toute honnêteté, après avoir administré plusieurs communautés virtuelles, j’ai pris conscience que je tirais un profit narcissique de cette modeste reconnaissance obtenue dans la sphère ésotérique. Je jouais le petit professeur un peu prétentieux, un peu condescendant. Une fois cette prise de conscience faite, je me suis demandé à quoi ça rimait ?
Je me suis efforcé de remettre l’autel au milieu du temple. Au bout du compte, si la notoriété m’apportait de la satisfaction, je ne pouvais décemment pas me complaire dans le regard des autres. Tant d’énergie perdue pour avoir le sentiment d’être utile à quelque chose… C’est tellement pathétique, non ? Ainsi donc, spirituellement parlant, j’ai partagé ce que j’avais à partager tout en me retirant peu à peu, comme un long sevrage.
La publication de mon livre aux éditions du Camion Noir a été un premier déclencheur vers cette retraite anticipée. C’était un aboutissement et, bien qu’on m’ait demandé une suite, j’ai estimé que je ne ferais qu’exploiter un filon sans faire progresser les lecteurs d’un iota. Ce retrait du milieu ésotérique ne m’empêche pas de rester fidèle à mes croyances et pratiques. Je continue d’ailleurs d’épauler un petit groupe de frères et sœurs qui ont trouvé dans la goétie contemporaine une voie d’éveil. Cela reste très confiné et discret. Hormis cela, je conserve une « vitrine » publique et reste disponible pour tout qui veut discuter avec moi occasionnellement, mais je ne cherche plus à être actif ou visible.
Quant à ma « reconversion ». En 2014, un projet d’écriture d’une biographie initiatique est sorti d’une discussion avec des camarades. C’était un défi à relever, je n’avais aucune expérience dans le milieu de la littérature. Au fur et à mesure de son écriture, ça s’est transformé en un roman à moitié initiatique, à moitié fantastique, qui s’est allongé et allongé, au point d’en faire une trilogie. Cette expérience m’a donné envie d’investir mon énergie dans ce sens. Et donc, j’ai décidé de chercher à publier ce roman sous mon nom civil, comme mes autres projets futurs, afin de me dissocier publiquement de cette identité d’occultiste.
Actuellement, je suis chroniqueur d’un magazine littéraire de l’imaginaire, lecteur test pour le comité d’une maison d’édition française, et récemment repris comme auteur dans une anthologie en plusieurs volumes auprès de grands noms de la littérature belge. Mes projets sont clairement orientés dans ce sens, faire publier la trilogie que j’ai terminée fin 2015, publier un recueil de nouvelles qui sera bientôt complet je l’espère, et concrétiser de nombreux autres projets de roman, pour la plupart axés sur le paranormal. J’essaie de mettre à profit mon vécu pour rendre les récits les plus réalistes et captivants possible. Pour répondre à ton interrogation, l’ésotérisme ne me quitte pas, je l’insuffle à présent dans des écrits romancés, naviguant entre une part de réalité, une part d’imagination.
Melmothia : Un dernier mot ?
Axaphat : Merci pour cet entretien. Passe une bonne journée. Hum… Fiat voluntas Nostra ?! Et… la mienne avant la tienne ; )
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