Véritable vitrine de la révolution industrielle et grand-messe à la gloire du progrès, la première Exposition Universelle eut lieu à Londres en 1851, sur l’initiative d’Henri Cole, un homme tout à fait dans l’air du temps, puisqu’il inventa la carte de vœux standardisée : A merry Christmas and a happy new year to you. Cependant, l’idée d’une exposition consacrée aux technologies vient de France. Depuis la fin du 18e, Paris accueille régulièrement des foires industrielles qui remportent un vif succès. Emballé par celle de 1849, notre Henry Ford de la carte de Noël propose au Prince Albert d’organiser une manifestation du même genre, mais plus ambitieuse, car présentant des produits en provenance du monde entier. La foire s’intitulera d’ailleurs : The Great Exhibition of the Works of Industry of All Nations.
L’Angleterre, dotée d’un immense empire colonial et premier pays à avoir profité du boom ferroviaire des années 1840, est alors à l’apogée de sa puissance et tout à fait emballée par les théories économiques modernes : « Nous vivons une période de transition extraordinaire, déclara le Prince Albert en présentant au public le projet de Cole, le grand principe de la division du travail, qu’on peut concevoir comme l’élément moteur de la civilisation, est étendu à toutes les branches de la science, de l’industrie et de l’art… Les ressources des quatre coins du globe sont à notre disposition et nous n’avons qu’à choisir ce qui est le meilleur et le plus économique pour servir nos fins ; les puissances de production sont confiées au stimulus de la compétition et du capital ».
Une dizaine d’hectares sont consacrés à cette première Exposition située à Hyde Park. À cette occasion est bâti le Crystal Palace conçu par Joseph Paxton, quelques 4000 tonnes de fonte et de verre assemblés suivant le principe du préfabriqué, qui valurent au paysagiste d’être élevé au rang de chevalier. Dans cette immense bâtisse d’une superficie de 8 hectares, sont exposés des matières premières, des produits manufacturés, des machines et des œuvres d’art. La moitié du bâtiment est réservée aux produits provenant de la Grande-Bretagne et de ses colonies.
Devant le succès de la manifestation qui attire plus de 6 millions de visiteurs, d’autres pays vont proposer à leur tour d’organiser des foires similaires, chaque ville élue surenchérissant sur le budget et la taille de l’exposition. Après Paris, Vienne, Barcelone, etc., le flambeau passe en 1893 à Chicago. Cette fois-ci, c’est toute une partie de la ville qui participe à la fête. La manifestation, qui dépasse de loin en ampleur et en ambition les autres foires mondiales, couvre un territoire de 2,4 km2 et comprend près de 200 nouveaux bâtiments, ainsi que des parcs et des canaux. Elle dure six mois et accueille 27 millions de visiteurs.
Avec un léger déficit, cependant, pour cause de liquidations. Car, tandis que George Washington Gale Ferris inventait la Grande Roue et que Daniel H. Burnham s’appliquait à créer une cité de rêve – la cité blanche -, un médecin y allait de son hommage personnel aux économies d’échelle et à l’Organisation scientifique du travail, en édifiant en plein centre-ville une demeure dédiée à l’équarrissage d’êtres humains en série, comprenant escaliers piégés, chambres de torture, table de dissection et fours crématoires au sous-sol. Celui que la postérité surnomma le docteur Torture avait également bien intégré le principe de cycle de production et surtout celui de débit, puisque ces victimes décédées, il revendait illico les squelettes aux hôpitaux voisins, inventant ainsi le meurtre standardisé : A merry agony and happy death to you.
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La première carte de vœu sérigraphiée par Henry Cole & John Calcott Horsley, 1843.
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Herman Webster Mudgett est né le 16 mai 1860 à Gilmanton dans l’État du New Hampshire. Il semble que, durant son enfance, il ait eu à subir l’alcoolisme de son père, l’obsession biblique de sa mère et les persécutions de ses petits camarades. Alors qu’il est encore tout jeune, ceux-ci le forcent à tripoter un squelette humain, mais l’expérience, loin de le dégoûter, le révèle à lui-même : la mort sera sa raison de vivre.
Mais d’abord, il se consacre à l’escroquerie. Devenu assistant-pharmacien, il se fabrique un faux diplôme de médecine et, tout en poursuivant ses études, monte une arnaque à base de vols de cadavres et d’assurances vie. Dans le même temps, il se lance dans l’immobilier et adopte le nom d’Henry Howard Holmes – H. H. Holmes.
En 1878, il se marie avec une certaine Clara Lovering vivant dans le New Hampshire, dont il aura un fils. Une décennie plus tard, il épousera une deuxième femme au Minnesota et, lorsqu’en 1891, il divorce de la première, c’est pour en épouser une troisième au Colorado. Dans le même temps, il entretient une relation avec Julia Smythe, l’épouse de l’un de ses anciens employés, qui finira en pièces détachées dans sa maison de l’horreur.
Sa polygamie et ses escroqueries lui rendent la vie un peu compliquée : à certains moments de son existence, Holmes jonglera avec sept identités différentes.
Durant l’été 1886, ayant déménagé à Chicago, il fait la connaissance des Holton qui possèdent une pharmacie dans le centre-ville. Le mari étant atteint d’un cancer, sa femme embauche le jeune homme pour la seconder. Après le décès de son époux, la veuve revend son commerce à Holmes, mais avant que la facture ne soit réglée, elle disparaît subitement. Selon le nouveau propriétaire de la boutique, elle serait partie en Californie sans laisser d’adresse.
Par la suite, il achètera le terrain faisant face à la pharmacie et entreprendra la construction d’un édifice de trois étages que les gens du voisinage appelleront le « château ». Tandis que Chicago commence à préparer sa Foire Mondiale, Holmes déménage sa pharmacie au rez-de-chaussée de sa nouvelle demeure et ouvre divers commerces, dont un magasin de bonbons, une bijouterie et un restaurant. Vu de l’extérieur, le bâtiment présente l’architecture massive et d’un goût discutable typique de l’époque. Mais l’intérieur présente une véritable originalité, puisque le second étage du 63 Wallace Street est entièrement consacré au meurtre en série.
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Chicago est à l’époque une agglomération polluée, surpeuplée et dotée d’un fort taux de criminalité. Lorsqu’elle est choisie pour accueillir l’exposition universelle devant New York, Saint-Louis et Washington, ses notables voient enfin une occasion de changer l’image négative de leur cité. On va donc faire les choses en grand : près de deux cents bâtiments sont construits pour l’occasion, les rues de la ville sont illuminées à l’électricité, des films sont projetés sur fond d’un tout nouveau style musical : le ragtime. Et pour surpasser la tour Eiffel qui a fait les beaux jours de l’Exposition Universelle de 1889, George Washington Gale Ferris conçoit la première Grande Roue. L’engin rapporta un bénéfice net de 200 000 dollars et resta en place jusqu’au printemps 1894, lorsque George Ferris la fit démonter puis remonter dans le North Side de Chicago.
De son côté, H. H. Holmes veut également faire les choses en grand, en comptant sur l’afflux de population dans une ville déjà sauvage :
« Rien n’était plus facile que de disparaître. Mille trains desservaient chaque jour Chicago. Beaucoup d’entre eux amenaient des jeunes femmes célibataires qui ne savaient pas ce qu’était une grande ville, mais espéraient néanmoins élire domicile dans l’une des plus grandes et des plus dures qui soient… La mort frappait souvent, anonyme et précoce. Les rails sur lesquels circulaient les 1 000 trains de la ville étaient posés à même les chaussées. On pouvait, en descendant d’un trottoir, se faire écraser par le Chicago Limited. Chaque jour, deux personnes en moyenne mouraient en traversant une voie ferrée, atrocement mutilées. Des piétons ramassaient des têtes coupées. Ce n’était pas le seul danger. Il y avait aussi les tramways qui dégringolaient des ponts à bascule. Les chevaux qui s’emballaient et précipitaient leur voiture dans la foule. Les incendies qui prenaient chaque jour une dizaine de vies – “rôti” était l’adjectif favori des journalistes pour décrire l’état des victimes. Il y avait encore la diphtérie, le typhus, le choléra, la grippe. Et il y avait le meurtre. À l’époque de l’Exposition universelle, le nombre d’hommes et de femmes allant jusqu’à tuer un de leurs semblables connaissait une progression spectaculaire dans tout le pays, mais plus encore à Chicago, où la police ne possédait ni les compétences ni les effectifs dont elle aurait eu besoin pour faire face à un tel volume de crimes.
Sur les six premiers mois de 1892, la ville connut près de 800 morts violentes – quatre par jour, pour la plupart liées à de banales affaires de vol, de querelle ou de jalousie sexuelle. Des hommes tiraient sur des femmes, des femmes tiraient sur des hommes, des enfants se tiraient dessus par mégarde » (Le Diable dans la ville blanche, Erik Larson, 2003).
Pour l’occasion, Holmes baptise sa demeure The World’s fair Hotel. Durant la construction, débutée en 1889, il a changé à plusieurs reprises d’entreprises afin d’être le seul à connaître le plan des lieux. Le second étage de la demeure est en effet un véritable labyrinthe composé de chambres sans fenêtres, couloirs sans issue, portes s’ouvrant sur des murs de briques, escaliers ne conduisant nulle part et quelques pièges… S’il donne dans l’équarrissage de touristes venus visiter la Foire et tue en passant quelques-uns de ses proches, les victimes préférées d’H. H. Holmes sont les jeunes femmes qu’il recrute par petites annonces sous prétexte de les employer ou par le biais d’annonces matrimoniales.
Ses techniques favorites consistent à enfermer la personne dans un coffre et la regarder s’étouffer par un œilleton ou à l’enfermer dans une chambre à gaz. La police ayant découvert des plaques d’amiante et un système de chalumeaux dans certaines chambres, on suppose qu’il en faisait également rôtir.
Tandis qu’il tue quelques unes de ses victimes rapidement, d’autres sont séquestrées et torturées durant de longs mois. Une fois décédées (mais pas toujours, certaines étant parfois disséquées encore vivantes), celles-ci sont évacuées au sous-sol par une chute, où se trouve tout un attirail destiné à dépecer, écorcher, démembrer, etc. Pour cela, Holmes dispose de deux fours utilisés comme crématoriums, de bains d’acide et d’instruments chirurgicaux. Les organes et les squelettes sont ensuite revendus aux hôpitaux voisins.
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En juillet 1894, Holmes est arrêté pour vol de chevaux sous le nom d’Howard, mais la police finit par découvrir sa véritable identité grâce à la trahison d’un complice et entreprend la fouille de la demeure. Lors de son interrogatoire, celui que la presse appelle désormais le Docteur Torture dira : « Je ne suis né avec le diable en moi. Je n’ai pas pu m’empêcher d’être un assassin, pas plus que le poète ne peut empêcher son inspiration de chanter ». Officiellement, 27 meurtres lui sont attribués, mais il est probable que ce nombre soit très sous-estimé.
Condamné à mort, H. H. Holmes est pendu le 7 mai 1896 à la Prison de Moyamensing. Quant au Murder Castle, le bâtiment est détruit dans un incendie en 1938. Un bureau de poste sera construit plus tard à son emplacement. Les rumeurs le donnent pour hanté.
Après quantité d’articles, de livres et de reportages sur celui qui est parfois considéré comme le premier serial killer américain, l’intérêt pour les crimes du Docteur Torture a été ravivé en 2003 par le best-seller d’Erik Larson The Devil in the White City. L’année 2017 devrait voir son adaptation cinématographique, mise en scène par Scorcese. En attendant, l’équipe de Rat Holes espère que vous avez apprécié ce court panégyrique à la gloire du progrès technologique et nous vous souhaitons bien entendu : A merry Christmas and a happy new year !
Melmothia, 2015.