Nightside of Eden, Kenneth Grant | Rat Holes 4

Nightside of Eden, Kenneth Grant

Premier tome de la deuxième trilogie typhonienne de Grant [1], l’ouvrage Nightside of Eden, paru en 1977, est entièrement consacré à l’exploration de ce que l’auteur appelle « les tunnels de Set », chemins reliant entre elles les Qliphoth ou Sephiroth inversées. Tandis que dans les systèmes traditionnels, cet envers de l’arbre de vie doit être évité à tout prix, Grant, a contrario, considère que ces Qliphoth ne sont pas maléfiques, mais peuplées d’atavismes et de puissances que les magiciens se doivent de sonder. Dans Nightside of Eden, les moyens de cette exploration seront fournis par les sceaux du Liber 231 de Crowley utilisés en conjonction avec des pratiques de Magie sexuelle.

Les Qliphoth (en hébreu, קליפות, parfois orthographié Klipoth ou qelipoth, terme signifiant « écorces » ou « coquilles ») se réfèrent aux forces du mal ou aux impuretés de la matière dans le cadre de la Création. La notion s’origine dans la Kabbale juive ; on en trouve ainsi trace dans le Talmud, puis dans le Zohar. Cependant, les développements magiques et ésotériques de la notion sont très récents. Il faut en effet attendre le 19e siècle pour voir apparaître les Qlipoth dans le cadre des études occultes où faute d’une définition claire, elles seront souvent associées à des entités démoniaques.

Bien que la Golden Dawn ne soit pas très prolixe sur les Qliphoth, on y retrouve dix dénominations présentées comme les reflets des 10 Sephiroth : Aretz (Le Monde, Terre du dessous), Sheol (La Fosse), Abron (La Perdition), Tit Aïsoun (L’Ordure), Bershoat (Le Puits), Irasthoum (L’Ombre de la Mort), Ozlomoh (Les Portes de la Mort), Géhenne (La Vallée du Sommeil), Gehenoum (La Vallée de l’Oubli), Gehenomoth (La Vallée de la Mort).

Avec Crowley, les Qliphoth deviendront un élément de pure démonologie ; il présente ainsi, dans son Liber 777, 10 ordres qliphotiques de démons, reflets des 10 ordres angéliques. Mais c’est son disciple, Israël Regardie, qui fera des Qliphoth un Arbre inversé à part entière, miroir de celui de l’Arbre de Vie des dix Sephiroth. Pour lui, les Qliphoth sont constituées de « matière maléfique » et de « coquilles de la mort », séparées de la source bénéfique supérieure, et aux effets dualistes et séparateurs.

L’illustration ci-dessus est la table des sceaux des Qliphoth correspondant aux 22 lettres hébraïques, aux 22 Arcanes du Tarot et aux 22 sentiers de l’Arbre des Sephiroth. Elle fut publiée par Crowley dans son Liber CCXXXI dans l’édition de The Equinox (volume 1, numéro 7) en 1912.

*

Tunnels-de-Set02

Figure 1 – Crowley, Liber CCXXXI – Equinox, 1912

*

C’est en se basant sur ce travail de Crowley, que Grant élaborera son système du Typhonian OTO sur l’idée des 22 tunnels de Seth, parallèle évident avec les 22 lettres ou 22 sentiers reliant les 10 Sephiroth. Selon lui, à l’inverse des Sephiroth solaires et phalliques, les Qliphoth représenteraient la dimension lunaire et féminine, incarnée par Lilith, Kali, etc.

La première partie de Nightside of Eden est consacrée à la théorie. Grant, une fois de plus, s’arrange avec l’histoire et la mythologie pour les accommoder à son système :

« On y apprend entre autres choses, nous dit John L. Smith, que les grades de l’OTO appartiennent au « vieil Éon », que « Choronzon se manifeste en tant que Femme Ecarlate », que les expériences nucléaires ont provoqué une invasion des « puissances de l’autre côté », que Ain = Ayin et que donc de 0 = 70, que les singes sont « les résultats d’expériences magiques antérieures au règne de l’homo sapiens, au cours desquelles des extra-terrestres ont copulé avec des femmes primitives », et toutes sortes de légendes bizarres dérivées des œuvres de Blavatsky, Bertiaux, Massey et autres. Grant semble également déterminé à réduire toutes les divinités existantes à un aspect de Set, aussi improbable que soit le cousinage » [2].

À propos de ces développements théoriques, le même auteur rapporte cette anecdote : il y a quelques années, un groupe de Bloomington dans l’Indiana entreprit un travail magique à partir des Tunnels de Set tels que décrits par Grant dans Nightside of Eden. Certains des participants qui ne disposaient que de photocopies de la première partie du texte, ne se sont aperçus qu’après coup que les pages qu’on leur avait fournies n’étaient pas dans le bon ordre. Après leur avoir restitué leurs places, ils ont avoué que les remettre dans l’ordre ne les avait pas beaucoup aidés…

La deuxième partie de l’ouvrage, nettement plus claire est consacrée à la description de chacun des vingt-deux tunnels, avec son sceau, son gardien et les pouvoirs liés à la Qliphah. Une grande partie du matériel présenté est repris du Liber 777 de Crowley, l’autre référence majeure restant les œuvres fictionnelles de l’écrivain H.P. Lovecraft.

Pour Grant, les Qliphoth tissent une réalité alternative que l’on peut atteindre via Daath, la Porte de Choronzon, où résident les Anciens que Grant associe aux Grands Anciens de Lovecraft.

*

Chapitre 4 de la deuxième partie de Nightside of Eden : 

Tunnel 14, Dagdagiel

Pour des questions de ©, nous ne donnons que des extraits de ce chapitre. Les coupes sont indiquées par des […].

*

Nightside-of-Eden03« Le quatorzième Tunnel est imprégné par la Kala [NDT : émanation] de Vénus représentée par la prostituée. Son attribution kabbalistique est Daleth, qui signifie « une porte » ; la porte qui permet d’accéder à la maison ou à l’utérus comme de s’en extraire. Son champ de pouvoir cosmique est Vénus. Ce Tunnel est adossé au premier Sentier Inversé sur l’arbre de vie ; sa contrepartie infernale est la base de la pyramide qui, lorsqu’elle est renversée, se trouve en équilibre sur le point Ain, dans le vide des Abîmes. Le nom de sa sentinelle est Dagdagiel. Elle peut être évoquée en vibrant son nom dans les aigus, en clef de Fa, la vibration étant accompagnée d’un son mélodieux. Son sceau doit être peint en bleu ciel vif dans un cercle rose brillant mélangé de vert pâle. Son nombre est 55, qui est un nombre mystique de Malkuth, le champ d’action de la Terre. Cinquante-cinq, en tant que 5 x 11 résume la formule de la Magick (11), mise en mouvement ou potentialisée par Shakti (5). C’est aussi le nombre de DVMH, ‘le silence’, qui est la formule de la femme (Shakti) quand elle tombe enceinte de l’enfant de lumière produit par la Kala suivante. Le mot HIM, « gonfler », est révélateur de cette condition. Et IHM, une métathèse de HIM signifie « concevoir », « avoir des rapports sexuels » et « créer ». 55 est aussi le nombre de KLH, la fiancée, la belle-fille, qui suggère la fiancée cosmique Malkuth, la fille de YHVH, c’est-à-dire le terme (Hé) de la manifestation.

La fille est le symbole du retour imminent ; du renversement de la manifestation à son premier stade de non-manifesté. Dans l’Aeon présent, le fils est l’enfant, mais dans l’Aeon à venir, celui de Maat, l’enfant sera la fille, car à la fin de cet éon, Malkuth retournera au sommeil de la dissolution (pralaya), avant de se manifester de nouveau.

Cette idée de la matière arrivant à sa fin rappelle la déclaration dans AL (I.66) : « La manifestation de Nuit touche à sa fin ». Le titre de l’Atu de ce chemin est « La Fille des dieux Terribles ». Ce thème est repris dans le mot MUT (une forme de Maat) dont le total vaut également 55 et qui signifie « ébranler », « écrouler », « tomber », « pourrir », « mourir ». Ce terme dérive de l’égyptien mut qui signifie « finir » ou « mourir ».

Le Sceau de Dagdagiel montre la lettre Daleth renversée, formant une potence au bout de la laquelle pend un triangle inversé au-dessus des lettres AVD. AVD (od) est la lumière magique. Le triangle est la pyramide inversée placée dans l’Abîme avec son apex dans le vide (Ain) parce que ce Tunnel inversé se reflète dans les étendues au-delà de Kether.

sceau_dagdagiel

L’implication en est que la pyramide est la lumière de la magie ou le serpent de feu suspendu à une potence dont la forme est celle de la Femme de la Nuit (NDA : Lilith ou la prostituée) dont le vagin (Daleth, la porte) est ici renversé. Cette particularité montre qu’elle est initiée aux plus hauts secrets de la magie sexuelle et qu’elle possède la marque spéciale de la Femme Ecarlate (le vagin rétroversé). Ses totems sont la colombe (l’oiseau typhonien), le passereau (NDA : connu pour sa lubricité) et la truie. Dans une note manuscrite de son exemplaire du Liber 777, Crowley note à cet endroit (colonne xxxvii) : « La truie = type vénusien qui égale Mars (opposé à d’autres types romantiques et plus élevés). Mars = sanglier ». Par cela, il veut dire que tandis que la vierge se réjouit à l’idée d’une idylle romantique ou platonique, la truie se vautre dans la boue de la sensualité. Mais la comparaison de la truie de Vénus et du sanglier de Mars comporte un autre mystère qui ne peut être élucidé qu’en se référant au Courant Draconique. La truie (Babalon = la courtisane) est la Qliphah (NDA Qliphah = prostituée) ou l’enveloppe externe de la déesse. Son mystère intrinsèque implique les Kalas, ou Kali elle-même, car Elle est la mère ultime. En termes de nouvel éon, cependant, Mars est le champ de pouvoir assigné à Ra-Hoor-Khuit en tant qu’enfant (Har) de l’éon présent, car le sang associé à cette dimension (celle de Mars) n’est pas le sang de l’homme tombé sur le champ de bataille, mais celui de la femme dont le corps donne forme à l’enfant.

La colombe est également associée au quatorzième Kala. La colombe était l’oiseau du sang (origine féminine) avant de devenir celui de l’air (esprit masculin). D’abord étaient Mars-Kali-Typhon, ensuite vinrent Vénus-Nephthys, Nu, Isis.

L’habileté magique traditionnellement associée à ce Kala est la création de philtres d’amour. Cette phrase est un euphémisme pour les vibrations vaginales émanant de la vierge dans une forme de magnétisme sexuel qui attire la Lumière Créative dans son utérus. Dans le verset correspondant à cette kala, il est écrit :

« La Vierge de Dieu trône sur une coquille d’huître ; elle est telle une perle et cherche 70 pour son 4. Dans son cœur est Hadit, la gloire invisible » [NDT : Aleister Crowley, Liber CCXXXI].

L’huître est un aliment aphrodisiaque. La vierge se grise sur sa coquille et cherche 70 (NDA : le phallus érigé symbolisé par l’œil (ayin = 70) du diable) pour son 4 (NDA : daleth, la porte, c’est-à-dire le vagin). Dans son cœur est Hadit (c’est-à-dire Set, le Diable lui-même), la gloire invisible qui motive son désir. La Vierge devient alors la Prostituée, ou en langage symbolique et magique : la prêtresse en transe reçoit l’illumination ou l’éveil ; la pythonisse devient oracle, inspirée par l’esprit divin. Pour cette raison, le mot magique de cette Kala est Agapé dont le nombre est 93, qui est le nombre du désir ou de la volonté (Théléma) ou du diable (Aiwass) lui-même.

Tous les aphrodisiaques et toutes les odeurs voluptueuses sont associés à cette kala dont la déité est Athor, Aphrodite, Kapris Cottyto et, dans le système tantrique, Lalita, l’aspect sexuel de la Shakti.

C’est cependant dans l’arbre africain que se trouvent les attributions les plus significatives. Dans la magie primordiale de l’Équateur, cette 14e kala est attribuée à la déesse Odudua, la déesse dont le temple secret à Ado, près de Badagry, fourmillait de prêtresses consacrées à son culte.

[…]

Le mot Aud (od) qui apparaît sur le sceau de Dagdagiel, est la lumière magique qui s’écoule du yoni d’Odudua. Dans le tunnel d’Odudua, cependant, il apparaît comme une pyramide. C’est le triangle (yoni) doté d’une dimension supplémentaire et surmonté par une toile d’araignée ou par l’anneau de feu avec lequel l’araignée et le scorpion sont respectivement associés.

Dans son Magicial Records, Crowley parle de tunnels ou de cavernes de feu à travers lesquels des esprits-renards le guidèrent durant ses plus hautes initiations. Le renard ou le chacal, comme nous l’avons déjà montré, est un zootype de Shugal, la forme divine de Satan-Aiwass. Son complément est l’entité amorphe Choronzon, le gardien du pilier de Daath qui forme l’apex de la pyramide et qui est la porte permettant d’accéder au complexe de tunnels descendant sous l’arbre.

La toile d’araignée est ce complexe de tunnels qui mène à d’autres dimensions, car ce qui apparaît comme de simples interstices dans un espace plat lorsque l’araignée émerge de son trou, constitue en réalité – dans les profondeurs d’Ile (la terre) – des vides intraspatiaux et des territoires du rêve dans l’immensité cosmique.

[…]

Les affections typiques du 14e tunnel sont la syphilis, la gonorrhée et la nymphomanie. Ces attributions sont mises en lumière par le plus odieux des divinités fétiches, Champana, le dieu déformé dont le symbole est un bâton noueux garni de bubons rouges et blancs. La composante nymphomane est évidente dans les Succubes, ou plus généralement dans les Femmes de l’Ombre générées par le yoni de la déesse dont l’arme magique est la ceinture. La relation avec la dimension onirique est également évidente, bien que nécessitant une explication plus ésotérique. La Femme-Ombre est le moyen de contrôle des rêves, car c’est par sa ceinture – ou cercle magique, que le rêveur pénètre les dimensions du côté obscur de la pyramide inversée qui est une projection du yantra de la déesse. La formule est de nature sexuelle et tout ce qui peut en être révélé l’a été dans ma Trilogie Typhonienne.

Il est intéressant de noter à quel point H.P. Lovecraft s’est approché de la frontière de ces dimensions étrangères à l’humain ; dans « L’Affaire Charles Dexter Ward », il fait allusion au « signe de Koth que certains voient en rêve au-dessus de l’entrée d’une tour noire dressée dans une lumière crépusculaire… ». Cette tour noire est le phallus de Set, la pierre dressée dans le crépuscule de l’Abîme, c’est-à-dire l’état crépusculaire entre le rêve et « les noirs abîmes du sommeil ». Le mot Koth ou Kotha est l’un des noms barbares d’évocation que les gnostiques utilisaient dans leurs Agapoi, dont certains ont été restaurés kabbalistiquement par Crowley dans son Liber Samekh, texte central du Nouvel Éon qui contient le rituel connu comme « Congressus Cum Daemone ». Il est l’un des plus puissants rituels existants, selon Crowley. Il contient les formules permettant de dialoguer avec son Double ou Soi de L’Ombre. Dans la section élémentale consacrée à la Terre, Kotha est le nom d’Hathor, la déesse voluptueuse du plaisir sexuel, « que Satan contemple et désire ! ». Koth est alors traduit par « Toi, l’Ombre » [NDT : le terme utilisé ici est « hollow », signifiant « vide », « creux » ; il pourrait être rendu par le grec eidolon, « image », « spectre », « fantôme »] , le « a » final étant évocatoire. Koth, par conséquent, signifie « Celui de l’Ombre », le tunnel symbolisé par le vagin de la femme qui émet un vaporeux plasma en réponse à la moindre stimulation de la Volonté magique dirigée.

[…]

Le terme ChVth, une forme de Koth signifiant « la bête des roseaux » (NDA : une image de l’Égypte dans le Psaume Ixviii. Le terme dérive de Khebt, l’hippopotame, un symbole zoomorphique de l’Égypte du Nord, c’est-à-dire la Basse-Égypte, la région typhonienne), a pour nombre 414 qui est celui de la lumière infinie (Ain Soph Aur), l’un des trois voiles du Vide derrière Kether. C’est aussi le nombre d’AZVTh (Azoth), le fluide, c’est-à-dire la sécrétion suprême ou Kala qui dissout toute structure moléculaire par sa lumière infiniment corrosive. Lovecraft a exprimé cette notion du point de vue de son matérialisme scientifique, comme étant Azatoth, le Chaos idiot et aveugle au centre des Mondes Infinis.

[…]

Le terme Koth en tant que Cheth (ChITh), 418, est d’une importance primordiale dans le Nouvel Éon, car il est le nombre du Grand Œuvre dans sa phase alchimique la plus haute, à savoir la dissolution de toute structure moléculaire telle qu’esquissée dans AL II. 44. »

Nightside of Eden, Kenneth Grant, pages 176 à 182.

*

Melmothia, 2010.

Notes :

[1] La seconde trilogie typhonienne comprend Nightside of Eden (1977), Outside the Circles of Time (1980) et Hecate’s Fountain (1992).

[2] « Typhonian Tomes : Being a Guide to the Works of Kenneth Grant », John L. Smith, 1997-1999. Sur le site Biblioteca Pleyades.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.