Extrait de l’ouvrage Le Baphomet, Figure de l’ésotérisme templier & de la franc-maçonnerie, Spartakus FreeMann & Soror D.S, Hermésia, 2015. A paraître. Disponible sur Amazon à partir du 13 novembre 2015.
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L’image d’une tête de bouc inscrite dans un pentagramme inversé apparaît pour la première fois dans la Clé de la Magie Noire de Stanislas de Guaïta. N’en déplaise aux satanistes et aux adeptes du complot, il n’existe aucune version de ce symbole antérieure à la parution de l’ouvrage, à savoir 1897.
À l’époque de la rédaction de ses Essais de sciences maudites [1], le jeune mage avait des comptes à régler avec quelques occultistes qu’il se fit un devoir d’accuser de magie noire. Pour un résumé très large de l’affaire : l’écrivain Joris Karl Huysmans, auteur du fameux roman Là-bas (1891), accusa Guaïta d’envoûter à distance son ami l’ex-abbé Boullan, un moine défroqué aux mœurs incertaines. Deux camps se formèrent, le célèbre occultiste Gérard Encausse, dit Papus, se rangeant aux côtés de Guaïta, tandis que l’écrivain Jules Blois épousait la cause de Huysmans. Une guerre magique s’ensuivit, chaque parti accusant l’autre de satanisme et l’histoire se termina par un duel dans un pré.
C’est dans ce contexte que Guaïta va composer notre symbole et c’est dans l’œuvre d’Éliphas Lévi, dont il est un fervent admirateur, que Guaïta va puiser l’inspiration. Pour commencer, sous l’influence de Lévi, il détermine un sens au pentagramme, un symbole jusque-là indifféremment positionné :
« On sait que le Pentagramme, où s’inscrit la figure du microcosme humain (Vouloir, lntellect, Amour, Puissance et Beauté) constitue un hiéroglyphe convertible : dans sa position normale, une seule pointe en haut, il est le bouclier du mage de lumière et traduit les vertus bienfaisantes et les glorieuses prérogatives de l’Intelligence, volontairement ralliée au plan providentiel […]. Mais orienté en sens inverse, l’Astre pentagrammatique n’est plus qu’un symbole d’iniquité, de perdition, de blasphème : ses deux pointes en l’air deviennent les cornes du Bouc immonde menaçant le Ciel et dont la tête s’encadre au pentacle stellaire, avec ses oreilles basses dans les branches latérales, et sa barbe en désordre dans l’unique pointe inférieure » [2].
Toujours sous l’inspiration des écrits de Lévi, Guaïta adjoint Lilith, Samael (associé selon Éliphas Lévi à la planète Mars) et Léviathan, le nom de ce dernier étant inscrit en hébreu sur les pointes du pentagramme. Le dessin lui-même a probablement été gravé par Oswald Wirth, son secrétaire et ami.
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La clé de la magie noire, Stanislas de Guaita, 1897.
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Durant les décennies suivantes, l’illustration sera répercutée, avec des modifications mineures, par divers auteurs, notamment l’écrivain et scénariste Maurice Bessy dont l’Histoire en 1000 images de la magie, parue en 1961, atterrit entre les mains du futur fondateur de l’Église de Satan, Anton Szandor LaVey.
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Séduit par l’illustration de l’ouvrage de Maurice Bessy, Anton LaVey commence par en placer une reproduction au-dessus de son autel. Par la suite, il la retouche légèrement et la dépose comme marque commerciale, sous l’intitulé « sigil of Baphomet », pour en faire le logo officiel de l’Église de Satan. Ce sceau apparaîtra tout d’abord sur la pochette du disque The Satanic Mass, produit en 1968 [3], c’est-à-dire un an avant la fondation de la CoS, puis comme couverture de la Bible Satanique, parue en 1969. L’image se diffuse alors dans le grand public avec le succès qu’on lui connaît.
Une fois qu’on a trouvé une belle image, encore faut-il y injecter du sens. Dans la Bible Satanique, LaVey n’hésite pas à affirmer : « Le symbole du baphomet était employé par les chevaliers des templiers pour représenter Satan ». Il ajoute : « Au long des âges, ce symbole a porté beaucoup de noms différents. Parmi eux on trouve : le Bouc noir, le judas, et plus souvent, le bouc émissaire. Baphomet représente les pouvoirs des ténèbres combinées avec la fertilité générative du bouc » [4]. Et Peter Gilmore de compléter :
« La face de bouc représente la corporéité. Dans l’ancienne Égypte, les boucs étaient considérés comme des représentations du dieu du désir, et nous pensons que le désir est un facteur important de la biologie qui continue à faire avancer l’humanité, c’est pourquoi nous lui accordons une grande valeur. L’étoile à cinq branches provient en réalité des pythagoriciens. Il s’agit de cette figure dans laquelle tous les éléments sont disposés les uns par rapport aux autres selon le nombre d’or. C’est là un magnifique symbole mathématique de perfection… Autour, il y a deux cercles, le premier touchant les pointes, le second à l’extérieur. À l’intérieur de ces cercles, des caractères hébraïques épelant Léviathan » [5].
Extrait de l’ouvrage Le Baphomet, Figure de l’ésotérisme templier & de la franc-maçonnerie, Spartakus FreeMann & Soror D.S, Hermésia, 2015.
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Notes :
[1] Le recueil Essais de sciences maudites comprend plusieurs tomes, eux-mêmes divisés en livres : Tome I – Au seuil du Mystère, 1886. Tome II – Le serpent de la Genèse : Première septaine – Le Temple de Satan, 1891. Deuxième septaine – La Clef de la Magie Noire, 1897. Troisième septaine – Le Problème du Mal (resté inachevé du vivant de Guaïta).
[2] Stanislas de Guaïta, La Clef de la Magie Noire, 1897.
[3] L’image est créditée Hugo Zorilla, un pseudonyme d’Anton LaVey.
[4] Anton Szandor LaVey, Satanic Bible, Avon Books, 1969.
[5] Peter Gilmore, « The History of the Use of the Sigil of Baphomet in the Church of Satan », 2001. Site officiel de l’Église de Satan : http://www.churchofsatan.com/Pages/index.html.