Pour le 128e article de Rat Holes, nous vous proposons l’interview du fondateur d’un ordre sataniste anti-cosmique, la Lilin Society.
Fondée en 2013 par Asha’Shedim (alias Reverend Elijah Lawless, alias Aka Paimon, alias John Putignano), la Lilin Society est une fraternité occulte consacrée à l’étude et la pratique des Arts Sombres. Si son fond doctrinal s’inscrit clairement dans le courant 218 (la Chaosophie), ses enseignements empruntent à divers corpus, tels que le culte de Qayin, celui de la Santa Muerte, le Vaudou, la Quimbanda, la kabbale qlippothique, etc. La Lilin Society se présente elle-même comme s’adressant aux « pratiquants sérieux » à la recherche de la « Gnose luciférienne ».
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Bonjour Asha’Shedim et merci d’avoir accepté cette entrevue. Pourrais-tu, pour commencer, nous dire quelques mots de ton parcours personnel dans l’ésotérisme ?
Eh bien, je suis né dans une famille catholique italienne, au cœur de Boston, Massachusetts (États-Unis). Ma famille n’était pas très pratiquante autrement que par tradition, mais j’ai néanmoins dû aller au catéchisme et faire ma première communion. Dès le début, je me suis senti attiré vers Satan. Je ne peux pas l’expliquer, mais même à un très jeune âge, j’ai rejeté Jésus-Christ et ce que je sais maintenant être le Démiurge. J’ai découvert plus tard que c’était l’Azoth en moi qui criait pour être libéré de ces chaînes cosmiques. Mon dévouement au satanisme a commencé à l’âge de treize ans. J’en ai trente-deux au jour de cette entrevue, ce qui signifie près de deux décennies de dévotion.
Que signifie le nomen « Asha’Shedim » ?
Asha est un terme zoroastrien qui signifie « vérité ». Les Shedim, dans le judaïsme, sont des démons descendant des serpents. Les pécheurs avaient l’habitude de sacrifier leurs filles aux Shedim. Les Shedim suivent les morts et errent autour des tombes.
La Lilin Society sous sa forme actuelle a été fondée en 2013, mais d’autres fraternités ésotériques l’ont précédée. Il semble que l’histoire de cette société soit un peu complexe. Pourrais-tu nous en résumer la genèse et l’évolution ?
Ça a commencé vers 2005, avec la fondation de la Church of Luciferian Light. J’ai entrepris de rassembler des adeptes dans la région de Providence, Rhode Island, mais malheureusement, j’ai attiré des « satanistes du dimanche » ; des gens qui prétendaient être satanistes, mais ne faisaient que suivre la mode ou utilisaient le satanisme pour choquer. Peu après, j’ai créé l’Ordre d’Angra Mainyu. Cette fois, j’ai attiré les bonnes personnes. C’était un groupe consacré au satanisme anti-cosmique. Mais il y a eu finalement des problèmes entre le conseil et moi, et l’ordre a fermé ses portes. Les membres du conseil ont fondé le Temple of the Weaver et je suis retourné à ma pratique en solo. En 2013, j’ai décidé d’essayer une dernière fois de constituer un groupe susceptible d’atteindre toutes les régions du globe grâce à l’Internet. Et j’ai créé la Lilin Society.
Si tu devais résumer la ligne directrice de la Lilin Society en quelques mots / phrases ?
Nos lignes directrices sont la fraternité, le secret, la pratique et l’évolution.
La Lilin Society se présente comme un ordre occulte s’inscrivant dans le courant 218, mais les enseignements et pratiques viennent de sources multiples. Ce melting-pot s’inscrit-il dans une perspective syncrétiste, comme cela est souvent le cas dans les groupes chaosophes, ou est-ce que ces courants constituent plutôt des éclairages complémentaires ?
En tant que satanistes, nous ne devrions jamais nous limiter. Notre objectif est l’évolution et la supériorité. Nous devons puiser dans tous les domaines qui peuvent nous aider à atteindre cet objectif. J’ai intégré la Quimbanda dans le satanisme anti-cosmique, comme cela est décrit dans l’ouvrage intitulé The Pitchfork of Maioral Lucifer, qui n’est actuellement pas disponible pour public, mais le sera en 2016, quand The Tome of the Lilin Society sera publié. J’utilise ce qui fonctionne pour moi, tout comme les autres membres de mon ordre.
À ce propos, dans The Grimoire of Asha’Shedim les principaux chapitres sont dédiés au Vaudou, à la Quimbanda, au Culte de La Santa Muerte ainsi qu’à la magie Qliphotique. Comment parviens-tu à maîtriser tous ces arts différents ? As-tu une préférence pour un en particulier ? As-tu étais initié pour les pratiquer ?
Je travaille avec tous les arts que j’enseigne. Maîtriser un art prend toute une vie, je suis un étudiant dans ces arts et je ne prétends pas tout maîtriser. Toute personne qui prétendrait maîtriser un art à un si jeune âge serait un menteur. Concernant ma préférence, c’est avec le culte de la Santa Muerte que j’ai connu le plus de succès. Sa magie est puissante, tout comme mon lien avec elle. Quant à l’initiation à ces systèmes, je ne suis pas passé par l’initiation traditionnelle. La plupart des adeptes de ces arts non plus d’ailleurs (bien que beaucoup le prétendent), mais au regard de ce que j’ai accompli, je suis convaincu que l’initiation, bien qu’utile, n’est un passage obligé pour personne. Par exemple, les Exu et Pomba Gira dans la Quimbanda accepteront de travailler avec vous aussi longtemps que vous les respectez et que n’essayez pas de les manipuler. Beaucoup de gens qui œuvrent dans le Vaudou s’entêtent à traiter le Loa comme un animal de cirque et c’est la raison pour laquelle ils n’ont pas de succès dans leurs réalisations. Avec l’initiation vient un profond respect, mais ce respect peut être acquis sans initiation.
Si j’ai bien compris, la Lilin Society fonctionne suivant un système d’auto-initiation et les membres restent très indépendants, pourtant la LS propose parallèlement un système de grades et d’examens. Tu peux nous expliquer davantage ce fonctionnement ? La Lilin Society est plutôt un ordre initiatique structuré ou une association d’individus libres ?
Les deux. Chaque membre décide de son niveau d’engagement dans le groupe. L’auto-initiation ne permet cependant pas d’avoir accès à nos travaux secrets. C’est seulement par le biais des grades et des examens que l’initié pourra avoir accès à nos travaux non publics. J’encourage les personnes intéressées à suivre ce chemin. Je suis connu pour laisser les gens entrer en fonction de leur mérite, des gens avec lesquelles j’ai pu établir un dialogue.
Combien comptez-vous de membres à l’heure actuelle ?
Le nombre exact est inconnu. Il y a des individus et des groupes qui se placent sous notre égide. On trouve, dans le monde entier, des gens qui prétendent faire partie de la Lilin Society, mais n’ont jamais passé un grade.
Quels sont les critères à remplir pour une personne désirant intégrer la Lilin Society ?
Il faut me contacter personnellement à partir de mon site internet. Le postulant recevra du matériel, il devra passer un examen et rédiger un court essai. Sa production sera évaluée et, si elle est satisfaisante, je le contacterai pour lui confirmer qu’il peut intégrer le groupe.
J’ai noté que dans vos documents et ouvrages, l’accent était porté sur la technique. Tu insistes également beaucoup sur la nécessité d’être un pratiquant « sérieux ». Est-ce que tu penses que l’ésotérisme est pourri par le continuel blabla des théoriciens en fauteuil ?
Je pense que les « collectionneurs d’ouvrages » et les « satanistes du dimanche » ont saturé l’art. Je pense que beaucoup de gens aiment lire et étudier, mais que peu pratiquent réellement. Voilà pourquoi mes livres sont conçus comme ils sont. L’adepte doit acquérir une certaine connaissance de l’histoire et des savoirs occultes avant d’utiliser ma méthode et mon système. Je pense que beaucoup de livres sont écrits par ces théoriciens en fauteuil qui ne pratiquent pas eux-mêmes et cela me rend malade. Je pense qu’on peut déterminer, en creusant un peu, si l’auteur porte réellement ou non quelque chose en lui.
L’influence de l’ONA (Ordre des Neuf Angles) semble de plus en plus présente dans la Lilin Society. Si ce courant constitue l’une des bases de la Chaosophie, celle-ci a plutôt eu tendance à s’en éloigner. Est-ce qu’il s’agit pour toi d’un retour aux sources ? Et quel est, plus généralement, ton point de vue sur l’ONA ?
L’ONA a développé des points de vue fascinants sur l’univers acausal. Ne pas reconnaître son apport au courant 218 contemporain est tout simplement absurde. Je pense qu’il est nécessaire d’explorer plus avant les racines pour évoluer. Il y a des choses dans l’ONA auxquelles je n’adhère pas, comme le nazisme, mais personne ne peut ni ne doit adhérer à 100 % aux idées d’un courant. Même dans mon propre groupe, je n’attends pas de mes membres qu’ils valident chacune de mes paroles. Ce serait une attitude de moutons et je ne respecte pas les moutons. De nombreux membres de la Lilin Society ne soutiennent pas nécessairement les enseignements de l’ONA et je respecte cela.
Par ailleurs, dans certains textes, tu emploies le terme Azoth comme synonyme de Flamme Noire. Tu pourrais clarifier ce point ?
L’Azoth est l’âme. Les Fireborn (nés du feu) possèdent cette âme, ce qui n’est pas le cas des Clayborn (nés de l’argile). Je parle de cette âme comme étant l’Azoth ; à l’intérieur de cette âme se trouve la Flamme Noire. C’est ce qui sépare l’essence d’une personne de la matière.
Dans une interview, tu as dit : « je n’approuve pas du tout le sacrifice humain ». Dans un autre texte, peut-être ultérieur, tu précises que les seuls sacrifices volontaires sont approuvés dans la Lilin Society, puis tu dis que le groupe suit la position de l’ONA sur cette question. Du coup, ce n’est plus très clair, vu de l’extérieur. Quelle est aujourd’hui la position de la Lilin Society sur le sacrifice humain ?
La Lilin Society approuve le sacrifice humain rituel au moyen de la sorcellerie. Cela n’a pas toujours été le cas, mais j’ai évolué en tant qu’adepte et compris son importance. Est-ce que moi-même ou l’un des membres du la LS a déjà participé à un sacrifice physique ? Je ne l’ai personnellement jamais fait. Quant aux membres du groupe, je ne saurais pas dire ce qu’il en est. Nous n’approuvons pas le sacrifice physique en raison des problèmes légaux qui pourraient en découler. L’incarcération étant susceptible d’entraver et limiter notre implication dans l’art, elle doit être évitée. La sorcellerie est une façon de le pratiquer, sans enfreindre aucune loi. À ma connaissance personne, dans l’histoire récente, n’a été condamné pour avoir sacrifié quelqu’un au moyen de la sorcellerie.
Tu as fondé dans les années 2000 un groupe de musique électronique expérimentale, Black Lodge Laboratory, qui est d’ailleurs sur le point de sortir un album. Tu pourrais nous dire quelques mots de cette expérience musicale et de ton groupe ?
Le Black Lodge Laboratory a été fondé en l’an 2000. Au départ, c’était un projet électronique solo, mais qui s’est transformé, au fil des années jusqu’à devenir un groupe de rock électronique, avec Perry Padgett à la guitare. L’album qui doit sortir cette année s’intitule Something Witchy et c’est un album antichrétien, antisocial et anarchiste. Nous prévoyons d’évoluer davantage vers le métal industriel en 2016, nous peaufinons notre style. Ce groupe a été une grande inspiration pour moi et c’est merveilleux de travailler en son sein.
Par ailleurs, j’ai entendu dire que tu écrivais également des nouvelles. Est-ce que tu effectues des ponts entre l’art et l’ésotérisme ? Et si oui, comment s’articulent, selon toi, les deux ?
Mes romans peuvent montrer une certaine coloration de satanisme anti-cosmique, surtout l’ouvrage Pleasures in Putrefaction, mais dans l’ensemble, ce sont des activités séparées. Pleasures in Putrefaction, Torture Porn et Torture Porn II sont des textes d’horreur extrêmes. God’s Drunk appartient à un genre appelé Redneck Noir et c’est un polar noir. Malkuth est une histoire de science-fiction cyberpunk. J’ai envisagé, comme l’a fait l’ONA, d’unir la fiction avec l’Art, mais je ne l’ai pas fait pour l’instant.
Dans plusieurs documents, tu évoques les ennemis de la Lilin. Est-ce que vous vous heurtez à beaucoup d’oppositions, des détracteurs ?
J’ai été très souvent menacé et critiqué, lorsque cette société a commencé à se faire connaître au sein de la communauté occulte. Nous avons été abondamment critiqués par des gens qui pensaient que nous avions pillé le Temple of the Black Light. Ces gens n’ont, de toute évidence, pas lu nos textes, car ainsi que tu l’as mentionné plus haut, notre travail est un melting-pot de différentes sources. Le Temple of the Black Light a beaucoup puisé dans l’ONA et certaines de leurs publications sont quasiment copiées d’ouvrages de Kabbale, de livres sur les Qliphoth et la magie goétique. Le Temple n’est pas propriétaire de cette religion, pas plus qu’il ne l’a créée. Elle est ouverte à tous.
Quant aux ennemis, je m’en suis découvert quelques-uns. Certains s’efforcent de causer des problèmes au sein du groupe afin de le renverser, des personnes qui se sont infiltrées et ont attiré sur nous une attention non désirée de la part d’autres ordres. Ce genre de choses est prévisible. Je m’en réjouis et je me réjouis des critiques qui essaient d’ébranler la Lilin Society.
J’ai d’ailleurs entendu dire que vous aviez eu des problèmes avec le TOTBL. Tu peux en parler ou est-ce que c’est tabou ?
Je préfère ne pas en parler. Je respecte toujours les enseignements du Temple et donc je préfère garder nos démêlés loin du public.
Et sinon, est-ce que je peux me faire tatouer votre logo ou est-ce qu’il faut que je demande la permission à Tiamat ? (rires)
Je n’ai aucun souci avec le fait qu’une personne se fasse tatouer notre logo. Je prévois de le faire moi-même dans un avenir proche.
Tu es l’auteur de plusieurs ouvrages ésotériques, tels que The Grimoire of Asha’Shedim ou Book of the Lawless: Essays on Anti-Cosmic Satanism. Ces titres sont-ils essentiellement destinés aux membres de la Lilin Society ou peuvent-ils être abordés et appréciés par un large public ? Quelle lecture conseillerais-tu à nos lecteurs pour commencer ?
Tout ce qui est rendu public est destiné à être utilisé par tous les pratiquants de la magie. Je suggère de commencer avec le Grimoire of Asha’Shedim, car cet ouvrage est une introduction au système que j’ai créé.
Des projets sur le feu en matière d’ouvrage ?
Je suis en effet en train de sortir un nouvel ouvrage intitulé The Tome of the Lilin Society. Ce livre contiendra des écrits jusqu’à présent non accessibles au public, tels que « the Pitchfork of Maioral Lucifer » et « the Devotion to Qayin ritual », ainsi que d’autres textes inédits.
Avec ton épouse, tu tiens une boutique ésotérique en ligne, Crossroads. Il est précisé, dans l’une des rubriques, que tous les objets étaient consacrés par tes soins, sur ton autel. Je possède d’ailleurs moi-même un pendentif venant de chez vous et j’aime beaucoup l’énergie qui s’en dégage. Comment vous est venue cette idée ? Est-ce parce que ces objets rituels sont avant tout destinés aux membres de la Lilin Society ? Et quels sont les retours des clients à ce sujet ?
Je suis content que tu apprécies ce pendentif. Oui, j’avais l’habitude de consacrer tous les bijoux sur mon autel, mais malheureusement, le magasin est à présent fermé. Je ne pouvais pas honorer toutes les commandes. J’ai dans l’idée, un jour, d’explorer de nouveaux chemins. Je ne m’attendais pas à ce que la boutique décolle autant. Je me suis spécialisé dans la bijouterie à base d’os humains. Je peux encore réaliser des commandes si les gens me contactent à l’avance, mais le magasin ne fonctionne plus ainsi qu’il le faisait autrefois.
En guise de conclusion : parmi les expériences magiques et mystiques que tu as pu vivre, quelle est celle qui t’a le plus marqué – si tu acceptes d’en parler ?
Je ne vais pas entrer dans les détails, parce que je pense qu’un pratiquant ne doit pas le faire, mais je peux dire que la Santa Muerte m’a protégé. Elle m’a sauvé la vie à plus d’une reprise et m’a aidé dans le monde matériel comme dans le monde spirituel. Je suis très impressionné par ce système.
Merci Asha’Shedim !
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Interview réalisée par Melmothia, 2015.
Le site de la Lilin Society
La page du groupe Black Lodge Laboratory