Tout à fait représentatif d’une certaine lunatic fringe satanico-nazie de la dernière décennie du XXème siècle, creuset d’influences politiques, philosophiques, ésotériques mais aussi littéraires ou musicales [1] extrêmement hétéroclites, l’Ordo Sinistra Vivendi (OSV – Ordre de la Voie sinistre/sénestre), basé en Nouvelle-Zélande – ce qui ne l’empêchera pas d’avoir un impact mondial dans le « milieu » – a succédé en 1994 à l’Order of the Left Hand Path (OHLP – Ordre de la Voie de la main gauche) qui, lui, avait été fondé en 1990. Ce changement de nom n’était pas anodin : en abandonnant la référence à la « Voie de la main gauche », concept extrême-oriental abondamment pillé et déformé par les occultniks occidentaux, l’OSV, à l’instar de ce qu’avait fait plus tôt l’Order of Nine Angles (O9A – Ordre des Neuf Angles), se posait comme le tenant d’une voie occulte authentiquement occidentale, distincte donc des influences asiatiques déjà évoquées et surtout déjudaïsée, réaction à l’omniprésence des concepts hébraïques dans un certain occultisme – y compris chez ceux qui clament leur opposition à un « judéo-christianisme » plus fantasmé que réel [2] – et positionnement ésotérico-politique particulièrement clair.
Marqués notamment par la personnalité de leur fondateur, Kerry Bolton (sous le pseudonyme de Faustus Scorpius), militant ultra-droitier de longue date [3], l’OLHP puis l’OSV devaient développer une idéologie satanique très marquée par l’interprétation nazie du surhumanisme nietzschéen, des emprunts à Spencer [4] pour ce qui est de l’écologie sociale, à Spengler et Evola pour leur conception du temps et des civilisations, à Francis Parker Yockey (la notion d’Imperium) ainsi que, de façon plus discrète à l’hitlérisme ésotérique de Miguel Serrano et Savitri Devi et au négationnisme historique. Des années plus tard, Bolton résumait néanmoins cela de façon plus lapidaire : « notre but était d’être iconoclastes. Bien qu’avec le recul elle apparaisse banale, notre doctrine était censée être une synthèse d’un Nietzsche mal digéré, de la cyclicité spenglérienne et des archétypes de Jung (…) L’OSV était multiracial et n’avait pas de doctrine en la matière » [5].
La particularité du surhumanisme de l’OSV – particularité qui le rapprochait considérablement de l’O9A d’Anton Long/David Myatt duquel Bolton était très proche – était qu’outre sa dimension métaphysique, finalement assez classique, il comprenait une dimension concrète et futuriste, celle de l’Homo Galactica, amené à, littéralement, conquérir les étoiles, côtoyant donc, sans contradiction, un satanisme tout à fait « médiévalisant » et théiste, avec ses messes noires, ses invocations à des déités anciennes et son recours à la figure de Baphomet.
Sur ce dernier point, il est d’ailleurs intéressant de remarquer que, à la différence de sa consœur ennéaèdrique, son théisme et sa volonté de marquer son territoire n’empêchèrent pas l’OSV, faisant feu de tout bois, de faire référence, à ses débuts, à l’objectivisme superficiellement luciférien de LaVey ainsi qu’aux écrits de Crowley. Ces références furent rapidement réduites à leur contenu nietzschéen cependant.
L’OSV publia par ailleurs son propre journal, Suspire, mais d’autres publications diffusèrent largement son idéologie telles que The Heretic (plus généraliste) ou The Nexus (dirigé par Bolton également) sans oublier The Flaming Sword (organe du Black Order, voir ci-dessous) pour ne citer que les principales.
En 1994, Faustus Scorpius démissionna de ses fonctions [6] et l’OSV fut repris par Thorsten Moar/Harri Baynes qui poursuivit les efforts de son prédécesseur notamment en termes de rapprochement doctrinal et organisationnel avec l’O9A. Finalement, l’Ordre muta de nouveau en 1996 pour devenir l’Ordo Deorc Fyre (ODF – Ordre du feu sombre) avant de se retirer du monde l’année suivante et que Moar/Baynes ne disparaisse pour s’engager dans une voie plus libérale, au sens anglo-saxon de l’expression [7]. Un dernier sursaut fut la fondation du Black Axis (L’Axe noir), regroupant l’ODF, l’O9A et le Black Order of Pan-Europa (Ordre noir de la grande Europe, initialement fondé par Bolton comme subdivision eurocentrique de l’OSV), en opposition au « satanisme » humaniste et social-démocrate de la Church of Satan (CoS – Église de Satan) et consorts.
Peu nombreux sont désormais ceux qui se revendiquent, totalement ou partiellement, de l’héritage de l’OSV. On pourra néanmoins mentionner le remarquable projet dark ambient balobien Vánargandr.
S. Gyre, 2015eh
[1] Du Black Metal le plus scabreux aux esthètes euro-païens de Changes ou Blood Axis.
[2] La notion de judéo-christianisme n’est essentiellement pertinente que pour désigner la période historique transitoire où les fois auxquelles elle renvoie n’étaient pas encore séparées et où il était possible de se réclamer simultanément des deux. Elle ne constitue pas une idéologie/philosophie/etc. cohérente à moins de ne réduire le christianisme qu’à un simple judaïsme « à l’usage des esclaves ».
[3] Ses positions politiques évoluèrent progressivement vers un mélange d’aristocratisme évolien, de national-bolchevisme et des idées développées par la Nouvelle Droite européenne, marqué par un abandon des scories « occultisantes » tout en en gardant la verticalité spirituelle, au gré de ses engagements successifs dans le Nationalist Workers’ Party, la New Zealand Fascist Union, le New Zealand National Front, la New Right etc.
[4] Abusivement qualifiés de « darwinisme social » alors que Darwin n’a jamais traité des sociétés humaines.
[5] Entretien accordé le 09/01/2012 à Alex Kurtagic pour le compte de Wermod & Wermod Publishing.
[6] Kerry Bolton est désormais un écrivain et éditeur politique prolifique qui, depuis une vingtaine d’année maintenant, s’est tourné vers le catholicisme bien que n’ayant été baptisé dans aucune confession particulière (correspondance avec l’auteur en date du 29/07/2015).
[7] Correspondance de l’auteur avec Draco Fenrirsson en date du 30/07/2015.