Esoterikos – Dernières paroles d’Anton Long [2]
Par Anton Long
Lapis Philosophicus [1]
Le Lapis Philosophicus : le joyau, le but de l’alchimiste, celui qu’il cherche à atteindre à travers la réalisation de cette symbiose particulière qu’est l’alchimie. Selon la tradition orale, la simple possession de ce joyau confère à l’alchimiste la sagesse et le secret de l’immortalité.
Permettez-moi de commencer ce récit – l’histoire du secret du Lapis Philosophicus – par la fin. Il s’agira par ailleurs de mon dernier écrit relatif à l’Occulte et à l’ésotérisme, et donc de la fin de ma péroraison.
L’histoire s’achève par une découverte que l’on pressentait déjà : l’avant-dernière étape – correspondant au grade de Magus, de Grand Maître ou de Grande Maîtresse, peu importe – de cette aventure d’une vie authentiquement occulte qui débute avec l’Initiation (de quelle que sorte qu’elle fut : auto-Initiation, Initiation hermétique ou cérémonielle) s’achève exactement de la même façon, que l’on ait suivi la Voie habituellement dite de « la main gauche » ou celle de « la main droite ». Car, par-delà l’Abîme, cette dichotomie et la distinction entre les voies qui lui correspond ne sont plus pertinentes, elles n’ont plus de sens ou de signification.
La « vérité » de l’alchimie intérieure, réelle, vivante est que l’achèvement et l’accomplissement de ces deux voies supposées distinctes mènent au même point : le même « lieu » la même connaissance et la même compréhension. La sagesse est en effet indivise, elle est la même pour tous, indépendamment des croyances ou opinions que nous avions au moment où nous nous sommes mis en quête d’elle. En d’autres termes, la découverte du Lapis Philosophicus est ce qu’elle est et a toujours été : elle produit toujours les mêmes effets et changements chez ceux – ils sont rares – qui parachèvent, au bout de plusieurs décennies d’efforts, leur parcours et le trouvent là où il n’a jamais cessé d’être dissimulé.
Évidemment, ceux qui n’ont pas découvert le Lapis Philosophicus n’apprécieront pas ce constat ; il se peut même qu’ils le contestent. De la même manière, cela n’agréera pas à ceux qui se vantent de l’avoir trouvé, qui veulent se convaincre et/ou convaincre les autres de leur aboutissement afin de revendiquer ou de s’octroyer, en récompense, quelque titre ou grade occulte extravagant – ou toute autre chose du même acabit.
Je l’écrivais dans un précédent manuscrit, « notre tâche véritable, en tant qu’individus et en tant qu’Ordre, notre Magnum Opus, est authentiquement occulte et ésotérique : notre quête est exclusivement celle du Lapis Philosophicus, elle n’est pas tournée vers l’abandon aux plaisirs mondains ni ne vise à modifier de façon éphémère ou superficielle une ou des forme(s) particulière(s) en vue de l’accomplissement de buts causaux, simplement matériels. Ce travail ésotérique et occulte seulement permettra de faire advenir et de consolider, efficacement et amoureusement, dans leur temporalité acausale propre, les changements éoniques que nous désirons et préparons. [2] »
De plus, au fil des décennies, l’approche de l’Abîme implique nécessairement de mener une existence numineuse-sinistre : pour ceux qui ont choisi de suivre la Voie de la main gauche – celle du Sinistre – il s’agira de vivre numineusement durant quelques années ; quant à ceux qui ont opté pour la Voie de la main droite – dont la vie a été guidée par le Numineux –, quelques années sinistres seront à expérimenter. En effet, un tel mode de vie (et le Pathei-Mathos qui lui est conséquemment associé) est un moyen de connaître et d’expérimenter – approcher les conditions requises pour l’évolution en d’autres termes – l’Équilibre naturel, la Vie, sans l’entrave des oppositions factices et de toutes les abstractions. Se développent de la sorte une connaissance du Wyrd et une Perspective éonique qui mènent l’individu au-delà de son destin singulier, au-delà de lui-même, et à une distance incalculable du culte primitif de l’ego que tentent de promouvoir les charlatans et les novices d’une certaine « voie ».
À cela succède l’épreuve de l’Abîme qui, pour les deux Voies, les deux cheminements, consiste à vivre au moins un mois dans l’isolement le plus complet, dans le dénuement si ce n’est la difficulté, conformément, par exemple, à ce qui est esquissé dans le Rite de l’Abîme de Camlad.
Quel est enfin le secret véritable de l’alchimie vivante ? Autrement dit, quelle est la nature du Lapis Philosophicus, quel effet cet « objet », dont la découverte est le but ultime de notre quête occulte de toute une vie, produit-il ? Cet aspect du « secret » est symbolisé par la dernière étape et le dernier grade : son dévoilement commence, mais ne s’achève pas, peu avant la mort physique de ce nexion qu’est l’Adepte, durant la Saison alchimique qui convient, au moment causal opportun, sans qu’il ne soit possible de déterminer ou de choisir ce dernier – car il se produit lorsqu’il le faut et son évidence n’apparaît manifeste qu’au moment de la découverte du Lapis Philosophicus ; il ne peut donc être déterminé ou choisi à l’avance, comme on l’a dit, ni être repoussé par quelque manœuvre dilatoire.
Au cœur de ce « secret » réside le fait que l’objet de notre quête n’a jamais été réellement éloigné et encore moins caché : nous avons seulement pensé ou cru qu’il l’était. Nous n’avons eu qu’à voir les choses comme nous le pouvions, mais ignorions pouvoir le faire – à connaître, comprendre et ressentir ce qui se présentait sous nos yeux et que l’écran des signifiants, verbaux (les paroles, les écrits), symboliques, conceptuels (les « pensées »), archétypaux, ou autres, nous masquait.
Une certaine connaissance préalable rend possible l’accès à cet aspect du « secret », celle qui concerne « l’eau vive », l’azoth. Celle qui nous apporte la compréhension de la nature du Temps, de la conscience et du Cosmos, c’est-à-dire de notre nature propre d’êtres mortels dans le monde phénoménal. Celle qui nous fait prendre conscience que nous sommes le Temps, au-delà de la distinction artificielle entre passé, présent et futur, car, en tant que nous participons de l’Etre, nous avons été, sommes et serons simultanément, de la même manière que nous avons la capacité de retourner à/redevenir cet Être, libérés de nos illusions causales. Mais, pour ce faire, nous devons nous tenir là : à la fois face au Temps, en lui et au-delà, dans le « jadis », le « maintenant » et le « si/quand » – ainsi nous pourrons « voir », connaître, sentir, apprécier et comprendre. Tout le reste n’est que préparation en vue de cet instant, ou rien.
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Anton Long, assemblée de Camlad. Traduction française anonyme, 2015.
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Brèves définitions de quelques termes occultes :
Perspective éonique
Parfois qualifiée de Perspective cosmique, cette expression sert à désigner un Pathei-Mathos ésotérique, une partie de notre expérience occulte, à savoir la connaissance en possession de laquelle nous entrons grâce à la combinaison de l’expérimentation pratique, de l’étude théorique et de l’usage de certaines facultés et compétences occultes telles que l’Empathie ésotérique.
Cette connaissance porte sur plusieurs domaines : certains ont trait à la façon dont nous concevons les êtres humains, d’autres se rapportent à notre conception des Éons, et d’autres enfin ont à voir avec nos pratiques, le but et l’efficacité de nos méthodes et techniques, qu’elles soient exotériques ou ésotériques.
Relativement aux formes causales, il s’agit, par exemple, de la compréhension par l’Initié que ce qui pour les êtres humains est ésotérique et évolutionnaire – ce qui rend manifeste l’énergie acausale et donc la Vie – est le changement intérieur, et non une transformation superficielle. Il en résulte que les formes causales et les praxis non-occultes ne produisent ni ne peuvent produire le changement éonique, bien que de telles formes et pratiques puissent, chez une poignée d’individus seulement par siècle, en raison de l’accumulation de Pathei-Mathos qui en découle, permettre d’accéder à une certaine acuité du regard, à une compréhension plus aiguisée, leur ouvrant la voie vers le changement et une forme d’Être plus accomplie.
Pour dire les choses différemment, les évolutions que les formes causales engendrent – à travers les guerres, les révolutions, les empires, les nations, les politiques, les réformes, les Gouvernements etc. – sont éphémères et n’ont pas d’effet significatif et durable sur la masse des humains, car ces derniers, foncièrement, ne changent pas. Ce sont des êtres plutôt primitifs, dépendants/esclaves des abstractions, de leurs émotions et de forces archétypales. À l’exception de quelques-uns, ils n’actualiseront jamais leur potentiel cosmique ni ne connaîtront la sagesse.
Alchimie
Al-χημία, du Grec χῡμεία, le changement.
Selon la tradition orale, l’alchimie ésotérique – l’alchimie secrète – est un processus de symbiose entre l’alchimiste et certaines « choses », certains éléments, dont le but est la production ou l’obtention du Lapis Philosophicus, ce « joyau de l’alchimiste » supposé lui apporter la sagesse et le secret de l’immortalité.
La signification véritable de l’alchimie, lorsque l’on en a une compréhension et une appréhension correctes, n’a rien à voir avoir la transmutation de substances et matériaux (chimiques ou autres) inertes et sans vie, comme ceux qui sont mal informés le croient ou ont été amenés à s’en convaincre : elle vise à la transformation de l’alchimiste via une interaction très particulière avec des « choses » vivantes, appartenant au règne humain, mais aussi à des forces de la Nature et du Cosmos, ou à des êtres existant à la fois dans le causal et l’acausal (d’où l’ancienne association de l’alchimie et de l’astronomie). Du fait de sa nature même, de sa Physis, cette interaction a un effet symbiotique et produit un changement tant chez l’alchimiste que chez les « choses »/substances qu’il manipule.
L’alchimie relève donc de ce que nous appelons le Sinistre numineux – accéder aux énergies acausales présentes chez les êtres vivants, les manipuler et les transformer, y compris celles qui se trouvent dans la psyché de l’alchimiste lui-même. L’alchimie ésotérique peut alors être décrite comme une sorte de « changement intérieur » de l’individu et comme l’art ésotérique et pratique de façonner/utiliser des formes ésotériques vivantes (des substances, des « êtres », des choses).
Ésotérique
L’emploi du terme « ésotérique » ne renvoie pas seulement à la définition suivante donnée par le Oxford English Dictionary : « Du Grec ἐσωτερικ-ός . Qui se rapporte à des doctrines, traités et discours philosophiques. Utilisé pour :
– désigner des disciples privilégiés ou plus avancés que les autres au sein du cercle intérieur d’une organisation ;
– pour décrire ce qui n’est transmis qu’aux initiés ou seulement compréhensible par eux ;
– qualifier alors aussi les disciples, ceux qui appartiennent au cercle intérieur et ont été admis au secret ésotérique. »
D’une façon également importante, il se rapporte aux Arts occultes – à ce qui est imprégné d’un certain mystère – et rappelle ce que nous nommons le Numineusement sinistre.
Psyché
Esotériquement, le terme « psyché »est employé pour décrire ces aspects de la conscience qui sont habituellement cachés, inaccessibles ou inconnus pour l’individu. Plus simplement, ils peuvent être assimilés aux forces/énergies qui influencent, ou sont susceptibles d’influencer, les réactions émotionnelles des individus et sur lesquelles ils n’ont aucune prise de même qu’ils ne les comprennent pas. Une des parties de la psyché est ce que l’on a appelé l’inconscient ; certaines des forces/énergies qui s’y manifestent ont pu – et peuvent toujours – être considérées comme des archétypes.
Concrètement, la psyché est une interface entre le causal et l’acausal.
Sagesse
Ici, la notion de sagesse ne correspond pas uniquement à la définition qu’en donne le dictionnaire – un jugement personnel et équilibré, la capacité de discernement. Elle retrouve aussi un sens plus ancien, celui d’une connaissance particulière, occulte et païenne, relative aux êtres vivants, aux humains, à la Nature et aux Cieux ; la maîtrise de certaines facultés comme l’Empathie ésotérique, la connaissance de soi et de l’Eonique, et donc la compréhension de la Réalité que le fait de dépasser les abstractions, de s’en débarrasser donne.
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NOTES
[1] La datation exacte de ce texte, indissociable du précédent, est problématique. La référence qui y est faite dans L’énigmatique vérité laisse à penser qu’il lui est, si ce n’est antérieur, du moins contemporain, alors que des versions circulent qui le datent du 02/02/123 yf ; ce serait en outre incohérent avec la date de retrait de la scène d’Anton Long. 2011 (122 yf) est l’hypothèse la plus crédible qui sera retenue ici. Toute notion de date a d’ailleurs désormais disparue des versions actuelles – « normalisées » – de Lapis Philosophicus.
[2] [NdT] Il s’agit d’un extrait de O9A Adversarial Action – Success or Failure?/L’action oppositionnelle de l’O9A – Réussite ou échec ? (A. Long, 122 yf), dont Long donna une première lecture, préalable à la diffusion du texte, lors du Sunedrion d’Oxonia.