Le Satanisme, par Fabre des Essarts | Rat Holes

Le Satanisme, par Fabre des Essarts

Né en 1948 dans la Drôme, Léonce-Eugène-Joseph Fabre des Essarts est un occultiste français, surtout connu pour son engagement dans le Christianisme Ésotérique et l’église Gnostique de Jules Doinel, dans laquelle il prit le nom de Tau Synesius. Son point de vue n’est donc pas celui d’un adepte du Left Hand Path. Il nous a cependant semblé intéressant de publier cet essai filant quelques thèmes classiques et représentatif du point de vue de l’occultisme de son époque.

Mel

Le Satanisme

Origines

L’idée d’adresser des prières aux puissances malfaisantes est aussi vieille que le monde. Ce n’est là, en somme, qu’une des faces de la religion, ce qu’on pourrait appeler son pôle négatif. On honore les dieux bons pour obtenir leur protection, les dieux mauvais pour les empêcher de nuire.

Les Égyptiens rendaient un hommage particulier à Typhon, qui incarnait le principe du Mal et de la Destruction. À Athènes, il y avait un temple où l’on offrait aux Euménides le sang des brebis noires et la néphalie, breuvage composé d’eau et de miel. À Rome, Pluton, l’implacable roi des Enfers, était également l’objet d’un culte spécial. Les taureaux noirs étaient ses victimes préférées.

L’orthodoxie chrétienne a conservé dans sa liturgie une trace fort curieuse de cette antique religion du dieu noir, et, chose étrange il ne s’agit point, en l’espèce, d’une adjuration apotropaïque, mais bien d’un appel direct à la puissance infernale. On lit dans le Rituel de l’excommunication majeure les lignes qui suivent :

« Je vous conjure, Démon, ainsi que toute votre lignée de ne point prendre de repos, jusqu’à ce que vous l’ayez réduit (l’excommunié) à un opprobre éternel, jusqu’à ce qu’il soit détruit par l’eau ou par la corde, mis en pièces par les bêtes sauvages ou dévoré par les flammes. Je vous somme, Démon, vous et tous les vôtres d’éteindre à l’instant la lumière de ses yeux, de même que j’éteins en ce moment ces torches. Amen. »

Voilà donc le Démon invoqué par le Pontife excommunicateur, l’esprit du mal devenant en quelque sorte son collaborateur, en cette œuvre de malédiction. Il est au moins singulier de constater que l’Église, qui a tonné si véhémentement et si cruellement sévi contre les Luciférains a jeté, elle aussi, à son heure, son cri vers Lucifer.

Mais tout cela n’est pas le Satanisme, si l’on entend par ce mot le culte du Démon, la religion du mauvais principe se substituant à la religion du bon principe et n’en conservant les pratiques extérieures que pour les tourner en sacrilège dérision.

Le vrai Satanisme ainsi défini ne paraît guère remonter au-delà du Moyen-Âge. Mais ce n’est pas chez les Frères du Libre Esprit qu’il faut l’aller chercher, encore que le long procès ouvert contre eux par l’Inquisition, en 1216, ait convaincu leur apôtre Ortlieb de préconiser l’adoration du Démon ce n’est pas non plus chez les Luciférains, bien que Conrad Tors, leur juge, leur reproche, vers la même époque, de baiser, dans leurs mystères, la croupe d’un crapaud et celle d’une chatte noire, symboles non équivoques selon lui de la puissance diabolique. Toutes ces déclarations nous viennent des Inquisiteurs, qui les tenaient eux-mêmes des malheureux qu’ils livraient à la torture. Donc, suspectes au premier chef.

Fort suspects aussi, et pour les mêmes causes, les documents qui étayent l’accusation de Satanisme portée contre les Templiers. Le seul point qui semble bien établi, c’est que leurs cérémonies initiatiques comportaient diverses pratiques bizarres, ayant pour but de montrer au néophyte jusqu’où devait aller son esprit d’abnégation et de soumission. Entre autres humiliations, ce dernier devait donner à l’Initiateur basia in fine spinae dorsi, in umbilico, etc. Mais ici encore cérémonie obscène, et non point acte satanique.

Quant au fameux Baphomet, Baffometus, ce Capud, dont il est si souvent question dans les pièces du procès, rien n’autorise à affirmer que ce fût véritablement la figure de Satan. L’étymologie même du mot, inspiratio mentisilluminatio, semble indiquer que c’était bien plutôt quelque symbole mystérieux, d’origine égyptiaque peut-être, représentant la pensée s’affranchissant de la gangue hylique.

Plus grave serait l’insulte au crucifix, sur lequel le récipiendaire devait marcher et cracher. Si ce point était nettement établi, il trancherait nettement la question dans le sens satanique. Et encore ? D’aucuns n’y voient qu’un symbolisme de mauvais goût commémorant la nécessité où se serait trouvé un grand maître du Temple de sauver sa vie de la main des infidèles, au prix d’une analogue profanation (selon S. Épiphane, les Elcésaïtes déclaraient que pourvu que l’on conservât sa foi dans les persécutions, on pouvait la renoncer de bouche. On pouvait même adorer extérieurement les idoles. Cette singulière doctrine s’était peut-être introduite dans le Temple à la suite du courant pseudo gnostique, et, en ce cas, l’insulte au Crucifix n’en aurait été que la symbolique tradition).

Tout bien pesé, nous ne croyons pas que les Templiers aient été des satanistes.

La Messe Noire de jadis

L’Évangile avait été prêché aux humbles. On leur avait parlé d’un Dieu tout de bonté et de mansuétude, commandant à Pierre de mettre l’épée au fourreau, proclamant l’universelle fraternité, fustigeant les vendeurs du temple, bénissant les petits enfants, et ceux-là mêmes qui leur parlaient de toutes ces belles et saintes choses, les prêtres de ce Dieu, mort en pardonnant à ses bourreaux, faisaient peser sur eux une affreuse tyrannie, les accablaient de dîmes et de corvées, guerroyaient eux-mêmes au besoin, passaient vêtus de soie et d’or, habitaient des palais. Ils en conclurent avec ce raisonnement simpliste qui est le propre du peuple que, non seulement, les ministres étaient des imposteurs, mais que leur Dieu lui-même n’était qu’un abominable Moloch déguisé en agneau. Et mus par ce besoin religieux que rien ne peut abroger, ils se mirent à adorer le Diable.

De là, la Messe noire.

Michelet estime que son institution n’est pas antérieure au XIIIe siècle. Jusque-là, on avait vu ce qu’il appelle l’innocent « carnaval du serf », vieux souvenirs païens entremêlés de manifestations chrétiennes, chandelles brûlées en l’honneur de Diane-Hécate, veillées de Vénus, Sabazies, etc. Ce n’est qu’à partir de 1300 que le Sabbat se transforme en lutte ouverte contre Dieu.

Au début, selon l’illustre historien, la Messe noire célèbre « la rédemption d’Ève, la réhabilitation de la femme ». Il est vrai que la femme y remplit le rôle de grande prêtresse. Mais peut-être ne faut-il voir dans ce détail du cérémonial que l’intention systématique de prendre exactement le contre-pied de l’office catholique. La femme étant exclue du chœur dans la liturgie normale, il était tout indiqué qu’on la plaçât à l’autel dans la liturgie satanique. C’est par trop subtiliser, ce nous semble, que d’attribuer à ce fait une portée sociale quelconque.

Nous allons voir, du reste, en empruntant à Michelet le scénario de ce drame démoniaque que tout y est au rebours de la magnifique tragédie du Saint-Sacrifice. D’abord pas de temple, ni pronaos destiné aux catéchumènes, ni sanctuaire réservé aux officiants. La cérémonie a lieu en plein air sur quelque lande sauvage, parfois au pied d’un vieux dolmen ; tous les assistants y sont confondus, jeunes ou vieux, hommes et femmes, fidèles et célébrants.

C’est que ce lieu secret n’est pas un rendez-vous 

Pour des amours humaines, préface d’épousailles, 

C’est un lieu de sabbat et là, dans les broussailles, 

L’animal qui préside est, suivant l’us ancien,

Le bouc à longue barbe ou le vert batracien,

dit le poète Amanieux, en un beau livre dont le seul défaut est de réduire le Satanisme à de purs phénomènes psychiques.

Mais revenons à Michelet. La prêtresse couronnée de verveine, la plante magique par excellence, prononce l’Introït :

« J’entrerai à l’autel de mon Dieu ; Seigneur, sauvez-moi du perfide et du violent » (entendez : du prêtre et du suzerain).

Ensuite avait lieu le reniement de Jésus. Puis on baisait le derrière du bouc, ou celui d’une sorte de Satan de bois, énorme, monstrueusement phallique, auquel, après la cérémonie du baiser, se prostituait la prêtresse. Un banquet, souvenir des antiques agapes, terminait l’Introït. Suivait la ronde du Sabbat, échevelée et folle.

On procédait ensuite à la seconde partie de la cérémonie. La prêtresse couchée sur le ventre servait à la fois d’autel et d’hostie. Sur ses reins, un officiant prononçait les paroles du Credo satanique. Et, naïvement, le bon Michelet ajoute « Ce fut plus tard immoral ! » Il trouve que pour l’heure, de 1300 à 1400, c’était tout à fait sérieux, étant données les tortures auxquelles était condamnée la prêtresse, si elle venait à tomber aux griffés de l’Inquisition. Je veux bien qu’il y ait eu alors du courage à dire la messe noire, mais vraiment en était-elle plus morale pour cela ?

Sur le corps de la prêtresse, on offrait le blé à l’esprit de la terre, en dérision de l’eucharistie, et des oiseaux s’envolaient du sein de la femme, offerts au Dieu de la Liberté, affirme Michelet, mais pour nous parodie d’une cérémonie du sacre des Rois. Puis venait la confarreatio, le gâteau cuit sur le corps de la femme, que se partageaient les assistants.

On déposait ensuite sur son corps deux simulacres, l’un représentant le dernier mort, l’autre, le dernier né de la commune. Alors la femme se relevait et jetait un défi à la foudre. On lui présentait aussitôt un crapaud habillé. qu’elle mettait en pièce en criant « Ah Philippe, si je te tenais »

Michelet ne paraît nullement fixé sur le sens de cette malédiction. Toutefois, il incline à croire qu’il s’agit de Philippe de Valois. On s’explique mal un pareil Ite missa est, pour terminer une cérémonie qui est une insulte air Dieu du Calvaire.

Je crois que si la prêtresse songeait à un roi, c’était bien plutôt à Philippe-le-Bel, à Philippe-le-Bel le faux-monnayeur, le meurtrier des Templiers, le louche collaborateur de Clément V, et par ainsi ce nom de Philippe synthétisait à la fois le prêtre et son Christ, la dîme, le brigandage et la torture, et ce nom, la prêtresse le clamait furieusement à la face du ciel, qui n’osait lancer sa foudre, et de la terre, qui n’ouvrait pas ses abîmes.

La Messe Noire d’aujourd’hui

Après la phase épouvantablement tragique du moyen-âge, la Messe noire entre, dès la Renaissance, dans une période de libidineuse décadence.

Ce n’est plus la grande fête sombre de la souffrance en folie ; c’est tantôt la recherche compliquée de sensations sadiques, tantôt la reconstitution maladroite d’un drame archaïque, tentative analogue à cette fête bachique organisée par Jodelle et ses amis à l’issue de la représentation de Cléopâtre.

On sait d’après les pièces du procès de la Voisin, que la Messe noire se célébrait encore au temps de Louis XIV « pour amuser les grands seigneurs de la Cour du roi et en des formes qui reproduisaient dans mesure les rites d’antan, notamment celui de la femme autel ».

Il faut ensuite arriver jusqu’à la fin du XIXe siècle pour retrouver mention de la Messe noire.

Elle se dit, cette abominable messe, non seulement en Navarre, ainsi que l’affirme en 1895, une feuille pie, mais aussi en France, et même à Paris. Les preuves ? Elles foisonnent. Mais elles viennent de source si spéciale que tout contrôle est impossible. Nous voulons parler des déclarations faites dans le mystère du confessionnal. Interrogez les curés et vicaires des grandes paroisses de la capitale, vous en trouverez bien peu qui n’aient entendu l’aveu de quelque pénitente, jeune ou vieille, s’accusant d’avoir baisé le derrière du bouc. Nous ignorons si les confesseurs ont quelquefois poussé à fond l’interrogatoire et s’ils en savent beaucoup plus long que nous n’en savons nous-mêmes sur les détails de la liturgie diabolique. Ce qui est certain, c’est que toutes les enquêtes tentées auprès d’eux n’ont amené jusqu’ici que cette simple, mais très nette déclaration : « Nous avons des pénitentes qui ont assisté à la messe noire. »

Autre fait très caractéristique le vol des hosties consacrées. Huysmans, le maître éminent qui a écrit la Cathédrale, nous disait récemment que ce genre de sacrilège devient de plus en plus fréquent. On laisse les ciboires et on emporte les hosties, preuve indéniable que ce n’pas l’appât de l’or qui attire les effracteurs. Et comme nous lui faisions observer que le célébrant de la messe noire n’a nullement besoin d’hosties consacrées, puisqu’il peut lui-même consacrer, étant prêtre, Huysmans nous déclara que les fidèles de l’église satanique se méfient beaucoup de la validité des pouvoirs de leurs officiants, craignant que ceux-ci n’aient pas été réellement ordonnés, ou qu’ils ne prononcent pas avec foi les paroles consécratrices, car, selon notre illustre confrère (consulter son Là-Bas), pour que la Messe noire d’aujourd’hui soit conforme au rituel adopté, il est indispensable que l’assistance dispose de pain dûment transmué par une véritable consécration.

En somme, pas plus Huysmans que tels autres écrivains ayant tracé des narrés de Messes noires n’ont assisté à. la cérémonie. Leurs descriptions sont tantôt pures fantaisies de reporters, tantôt ingénieux essais de reconstitution d’après les grimoires des de Lancre et des Wyer.

Si comme nous sommes incités à le croire, sur la foi de tant de respectables témoignages, la Messe noire se dit à Paris, c’est en des lieux absolument secrets, où l’on n’est admis qu’en montrant patte noire et que d’ailleurs la loi Guilloutet abrite de son égide. On a parlé de la rue de Rennes, des abords de l’Archevêché. Mais en fait, pour le lieu, comme pour l’heure et le détail de la cérémonie, on en est réduit aux hypothèses.

Illustration :  Marcantonio Raimondi, d’après Girolamo Genga, Sur le chemin du Sabbat, gravure au burin, vers 1520.

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