Par Phil Hine
Ce qui suit est la description du premier travail collectif entrepris par les membres du Nyarlathotep Coven. Le but de ce travail était de créer une ébauche d’espace-rêve, une « forme » [1] partagée par les membres du groupe pouvant servir de réserve d’imageries et d’autres modalités sensorielles – de façon à ce que le travail magique du groupe, à la fois collectif et individuel, puisse résonner à un niveau psychique ou liminal.
Le sabbat astral ou rêvé est un archétype du concept, classique dans l’occultisme, de la rencontre avec les plans intérieurs ou avec les maîtres. Le conte à clef de Lovecraft qui évoque ce thème est la « Maison de la sorcière » (« The Dreams in the Witch-House ») dans lequel le protagoniste Walter Gilman est graduellement entraîné, à travers ses rêves fébriles, dans un sabbat astral.
« Il devait, disait-elle, rencontrer l’Homme Noir et les accompagner tous devant le trône d’ Azathoth au cœur de l’ultime Chaos. Il devait signer de son propre sang le livre d’Azathoth et adopter un nouveau nom secret, à présent que ses recherches indépendantes étaient allées si loin »[2].
Nous sentions tous qu’avoir accès au sabbat astral serait un bon moyen de débuter les travaux du convent. En guise de première étape, tous les membres durent(s’ils ne le faisaient pas déjà) tenir un cahier de rêves régulier. Chaque nuit, les membres tâcheraient, par leur propre ingéniosité, d’atteindre le sabbat. Élaborées partir de sources occultes diverses, les méthodes suivantes furent suggérées :
a) Créer des collages de descriptions de sabbats – telles que celles de Lovecraft, des descriptions médiévales du sabbat des sorcières, des descriptions provenant de fictions d’horreur, etc., des films tels que The Devil Rides Out ; collecter également des musiques appropriées comme Night on a Bare Mountain ou Come to the Sabbath et des illustrations provenant de l’œuvre de Spare, Giger etc.
b) Utilisation de sigils stylisés, de mantras ou de chants avec l’intention de « faire l’expérience du sabbat astral ».
c) Utiliser l’œuvre de Spare comme voie d’accès au sabbat.
d) Visite physique de lieux semblant appropriés pour le sabbat dans lesquels le magicien pourra retourner lorsqu’il « vivra » le sabbat, par le souvenir, les associations d’idées, et quand cela est possible, des objets physiques.
Pour cette première étape du travail, nous consignions tous nos rêves et voyages astraux. Une attention toute particulière est accordée aux descriptions de lieux pour les sabbat, aux sons répétitifs, aux odeurs, et aux les images récurrentes pouvant former la base d’une expérience collective du sabbat et pouvant être utilisées pour des explorations rêvées plus poussées ou ultérieures, ou durant le travail rituel.
Voici un exemple d’un rêve de sabbat de Frater Hali :
« Je suis en train de visiter un grand château délabré dans le Yorshire sauvage. Sous la maison, et les collines environnantes, se trouve un réseau de tunnels et de pièces souterraines. La maison est salement hantée par de nombreuses perturbations de poltergeists – lumières s’éteignant et murs en mouvement. Sœur V. est là avec une autre femme qui dit être la Princesse du Tunnel et c’est là que nous devons rencontrer les autres qui sont en train de se recueillir en ce lieu. Je suis effrayé par ces créatures qui vivent dans le tunnel, mais sœur V. me rassure et dit que je n’ai pas de soucis à me faire ».
Le rêve d’Hali évoque des thèmes occultes apparentés aux Tunnels de Set et ces couloirs hantés par des créatures étranges constituent un thème récurrent dans les écrits de Lovecraft.
D’autres membres ont également rapporté une imagerie de tunnel dans leurs tentatives pour accéder au sabbat, et nous avons interprété cela comme un signe positif du développement d’un « gestal » commun (égrégore) ; les membres ont non seulement commencé à rapporter des rêves, mais on aussi, assez rapidement, assisté au sabbat ; nous avons également commencé à nous rencontrer dans ces rêves – parfois sous la forme d’animaux comme de grands corbeaux ou des chouettes qui se transformaient ensuite en des membres du convent.
Afin d’intensifier cette fusion croissante des expériences rêvées des membres, Frater Telesis a proposé que nous passions ensemble une soirée à partager les descriptions et images que chacun avait collectées à propos du sabbat et discuter de la progression de nos rêves et travaux astraux ; nous conclûmes en dormant tous dans la même chambre.
Cette séance de réflexion serait longue à raconter – certaines des descriptions de sabbats et de rassemblements de magiciens et sorciers agirent comme des supports de voyages et de méditations inspirées.
Cette réunion fut également utile pour intensifier le lien entre les membres du groupe en permettant d’en savoir plus sur chacun et sur nos histoires magiques. Telesis suggéra que ce sommeil commun avait dû augmenter la probabilité des membres du convent de rêver des uns et des autres.
Lorsque nous avons comparé nos notes le jour suivant, nous avons constaté que la majorité du convent avait fait l’expérience de rêves étranges de ce type ou d’un autre, et Frater G. et Soror V. avaient fait un rêve de sabbat où ils se sentaient accompagnés par d’autres membres du convent, bien qu’ils n’aient pas pu voir leurs visages.
Comme ce travail progressait, nous avons commencé à noter des images récurrentes dans les expériences de chacun des membres du convent : par exemple un réseau de tunnels, des expériences de vol jusqu’au sabbat, le fait que les participants n’étaient tous humains, que beaucoup de préposés (gardiens/serviteurs) étaient des élémentaux, des lamies ou incubes. Les sabbats avaient lieu dehors, avec un cercle de pierres ou « un autel noir » en guise de centre focalisateur, ou dans des salles souterraines éclairées par des torches vacillantes. Frère Vorgis rapporte un rêve récurent où il rejoint le sabbat au cœur de la plaine d’un désert aride qu’il « savait » être sur une autre planète.
Pour l’étape suivante de ce travail, nous avons créé :
* Un sigil de groupe
* Un enregistrement audio de type cut-up des membres du convent lisant des extraits de textes magiques, de citations du Nécronomicon, des extraits de nouvelles de Lovecraft, et d’autres sources encore.
* Un collage numérique d’images de lieux, de sabbats, retravaillées, masquées, altérées, etc.
Ils furent utilisés comme supports par les membres dans leurs expérimentations oniriques et astrales.
Il a été également suggéré que nous créions un « scénario » permettant l’entrée du groupe dans l’espace du sabbat. Mais après quelques discussions, l’idée fut momentanément abandonnée, car nous ne voulions pas placer de limitations artificielles dans l’imagerie du rêve. Ce que nous avons décidé cependant était que les membres devaient s’efforcer de « voir » dans leurs rêves le sigil élaboré par le groupe comme un soutien pour le rêve lucide – l’idée étant que si quelqu’un se trouvait au sabbat, il pourrait essayer d’utiliser le sceau pour appeler d’autres membres à le rejoindre. Cela n’a jamais été un succès à cent pour cent, mais dans les quelques cas où les membres racontèrent avoir rencontré le sigil dans leurs rêves, ils dirent qu’après avoir focalisé leur attention dessus, ils avaient senti la « présence mentale » du convent avec eux.
Une variante du scénario « d’évasion onirique » fut tentée par Frater Hali et Vorgis, avec Soror Zirel, qui créèrent un canevas à partir des éléments de leurs expériences oniriques les plus riches, et l’ont essayé comme support d’un voyage guidé dans l’espoir que cela permettrait des confluences supplémentaires au cours de leurs rêves futurs – avec peu de succès, apparemment.
Tandis que ce travail progressait, nous arrivâmes à la conclusion que se battre pour atteindre une confluence parfaite dans l’imagerie du rêve et dans nos expériences individuelles n’était pas réaliste – mais ce que nous faisions avait généré une bonne quantité d’imageries et d’associations d’idées qui seraient utilisables plus tard. Ce que nous trouvions également intéressant était le débordement d’images astrales/oniriques dans la conscience à l’état d’éveil.
Nous avions commencé avec une conception du sabbat comme événement rituel formel, mais après quelques mois et après avoir exploré les thèmes associés au sabbat, nous commençâmes à apprivoiser l’idée que ce puisse être un événement spontané – un point de rencontre entre les zones/modalités d’expériences ou entre les entités/états de conscience.
En d’autres termes, le sabbat est un espace liminal archétypal – en effet, Frater Vorgis a mis en avant le fait que le Sabbat pouvait être considéré comme une « entité » de plusieurs sortes, un rêve sensible. Le sabbat est quelque chose qui nous a entraînés ou attirés à l’intérieur. Peut-être est-ce une erreur de croire que cette expérience particulière puisse être consciemment contrôlée.
Texte original : « The astral sabbat – from the Archives of the Nyarlathotep Coven », Sur le site de Phil Hine. Traduction par Nébula & Iranon.
Notes :
[1] Le terme employé dans le texte est « gestalt ». NDT.
[2] Texte disponible en ligne : La Maison de la Sorcière.
Illustration : Sabbat, Tony Grist, 2011.